Pour sa première encyclique écrite entièrement de sa main, le pape François n'a pas voulu d'un titre latin. Empruntant les belles invocations du Cantique des créatures de saint François, Laudato si s'inscrit d’emblée dans la lignée franciscaine, louant les beautés de la nature, notre maison commune, notre sœur, avec laquelle nous partageons notre existence. Le pape François n’est pas le premier pape à s'élever avec autant de force contre la dégradation de la planète et l’exploitation éhontée des ressources naturelles.Dès le concile Vatican II, la conscience écologique de l'Église s’est affirmée et tous les papes se sont largement exprimés sur le sujet. Mais cette encyclique est la première à aborder le sujet de façon aussi approfondie, faisant du souci écologique bien plus qu’une simple inquiétude de surface : une véritable angoisse pour les générations à venir, un appel vibrant à la conversion. L’écologisme intégral dont parle François se déploie dans toutes les directions : économique, politique, religieuse. Ce texte s'appuie, entre autre, sur les travaux des conférences épiscopales d’Amérique latine, qui depuis des années s'élèvent contre l’exploitation des terres et de leurs habitants.
Construit autour de 6 chapitres, ce texte, au ton souvent dramatique, se décline comme une vaste fresque d’un monde post industriel qui a fait de la croissance économique son moteur principal, n’écoutant ni la clameur des pauvres, ni les gémissements d’une planète à bout de souffle.
Conscient de la complexité des problèmes, le pape François y lance un appel pressant pour que tous, dirigeants politiques, financiers, économiques, et simples citoyens dialoguent, agissent et… changent de vie.
LETTRE ENCYCLIQUE LAUDATO SI’ DU SAINT-PÈRE FRANÇOIS SUR LA SAUVEGARDE DE LA MAISON COMMUNE

1. « Laudato si’, mi’ Signore », - « Loué sois-tu, mon
Seigneur », chantait saint François d’Assise. Dans ce beau cantique, il
nous rappelait que notre maison commune est aussi comme une sœur, avec
laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous
accueille à bras ouverts : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur
notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit
divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe ».[1]
2. Cette sœur crie en raison des dégâts que nous lui causons par
l’utilisation irresponsable et par l’abus des biens que Dieu a déposés
en elle. Nous avons grandi en pensant que nous étions ses propriétaires
et ses dominateurs, autorisés à l’exploiter. La violence qu’il y a dans
le cœur humain blessé par le péché se manifeste aussi à travers les
symptômes de maladie que nous observons dans le sol, dans l’eau, dans
l’air et dans les êtres vivants. C’est pourquoi, parmi les pauvres les
plus abandonnés et maltraités, se trouve notre terre opprimée et
dévastée, qui « gémit en travail d’enfantement » (Bm 8, 22). Nous oublions que nous-mêmes, nous sommes poussière (cf. Gn 2,
7). Notre propre corps est constitué d’éléments de la planète, son air
nous donne le souffle et son eau nous vivifie comme elle nous restaure.
Rien de ce monde ne nous est indifférent
3. Il y a plus de cinquante ans, quand le monde vacillait au bord d’une crise nucléaire, le Pape saint Jean XXIII
a écrit une Encyclique dans laquelle il ne se contentait pas de rejeter
une guerre, mais a voulu transmettre une proposition de paix. Il a
adressé son message Pacem in terris «
aux fidèles de l’univers » tout entier, mais il ajoutait « ainsi qu’à
tous les hommes de bonne volonté ». À présent, face à la détérioration
globale de l’environnement, je voudrais m’adresser à chaque personne qui
habite cette planète. Dans mon Exhortation Evangelii gaudium,
j’ai écrit aux membres de l’Église en vue d'engager un processus de
réforme missionnaire encore en cours. Dans la présente Encyclique, je me
propose spécialement d’entrer en dialogue avec tous au sujet de notre
maison commune.
4. Huit ans après Pacem in terris, en 1971, le bienheureux Pape Paul VI
s’est référé à la problématique écologique, en la présentant comme une
crise qui est « une conséquence...dramatique » de l’activité sans
contrôle de l’être humain : « Par une exploitation inconsidérée de la
nature [l’être humain] risque de la détruire et d’être à son tour la
victime de cette dégradation ».[2]
Il a parlé également à la FAO de la possibilité de « l’effet des
retombées de la civilisation industrielle, [qui risquait] de conduire à
une véritable catastrophe écologique », en soulignant « l’urgence et la
nécessité d’un changement presque radical dans le comportement de
l’humanité », parce que « les progrès scientifiques les plus
extraordinaires, les prouesses techniques les plus étonnantes, la
croissance économique la plus prodigieuse, si elles ne s’accompagnent
d’un authentique progrès social et moral, se retournent en définitive
contre l’homme ».[3]
5. Saint Jean-Paul II s’est occupé de ce thème avec un intérêt toujours grandissant. Dans sa première Encyclique,
il a prévenu que l’être humain semble « ne percevoir d’autres
significations de son milieu naturel que celles de servir à un usage et à
une consommation dans l’immédiat ».[4] Par la suite, il a appelé à une conversion écologique globale.[5] Mais en même temps, il a fait remarquer qu’on s’engage trop peu dans « la sauvegarde des conditions morales d’une “écologie humaine” authentique».[6]
La destruction de l’environnement humain est très grave, parce que non
seulement Dieu a confié le monde à l’être humain, mais encore la vie de
celui-ci est un don qui doit être protégé de diverses formes de
dégradation. Toute volonté de protéger et d’améliorer le monde suppose
de profonds changements dans « les styles de vie, les modèles de
production et de consommation, les structures de pouvoir établies qui
régissent aujourd’hui les sociétés ».[7]
Le développement humain authentique a un caractère moral et suppose le
plein respect de la personne humaine, mais il doit aussi prêter
attention au monde naturel et « tenir compte de la nature de chaque être
et de ses liens mutuels dans un système ordonné ».[8]
Par conséquent, la capacité propre à l’être humain de transformer la
réalité doit se développer sur la base du don des choses fait par Dieu à
l'origine.[9]
6. Mon prédécesseur Benoît XVI
a renouvelé l’invitation à « éliminer les causes structurelles des
dysfonctionnements de l’économie mondiale et à corriger les modèles de
croissance qui semblent incapables de garantir le respect de
l’environnement».[10]
Il a rappelé qu’on ne peut pas analyser le monde seulement en isolant
l’un de ses aspects, parce que « le livre de la nature est unique et
indivisible » et inclut, entre autres, l’environnement, la vie, la
sexualité, la famille et les relations sociales. Par conséquent, « la
dégradation de l’environnement est étroitement liée à la culture qui
façonne la communauté humaine».[11]
Le Pape Benoît nous a proposé de reconnaître que l’environnement
naturel est parsemé de blessures causées par notre comportement
irresponsable. L’environnement social a lui aussi ses blessures. Mais
toutes, au fond, sont dues au même mal, c’est-à-dire à l’idée qu’il
n’existe pas de vérités indiscutables qui guident nos vies, et donc que
la liberté humaine n’a pas de limites. On oublie que « l’homme n’est pas
seulement une liberté qui se crée de soi. L’homme ne se crée pas
lui-même. Il est esprit et volonté, mais il est aussi nature».[12]
Avec une paternelle préoccupation, il nous a invités à réaliser que la
création subit des préjudices, là « où nous-mêmes sommes les dernières
instances, où le tout est simplement notre propriété que nous consommons
uniquement pour nous-mêmes. Et le gaspillage des ressources de la
Création commence là où nous ne reconnaissons plus aucune instance
au-dessus de nous, mais ne voyons plus que nous-mêmes ».[13]
Unis par une même préoccupation
7. Ces apports des Papes recueillent la réflexion d’innombrables
scientifiques, philosophes, théologiens et organisations sociales qui
ont enrichi la pensée de l’Église sur ces questions. Mais nous ne
pouvons pas ignorer qu’outre l’Église catholique, d’autres Églises et
Communautés chrétiennes – comme aussi d’autres religions – ont nourri
une grande préoccupation et une précieuse réflexion sur ces thèmes qui
nous préoccupent tous. Pour prendre un seul exemple remarquable, je
voudrais recueillir brièvement en partie l’apport du cher Patriarche
Œcuménique Bartholomée, avec qui nous partageons l’espérance de la
pleine communion ecclésiale.
8. Le Patriarche Bartholomée s’est référé particulièrement à la
nécessité de se repentir, chacun, de ses propres façons de porter
préjudice à la planète, parce que « dans la mesure où tous nous causons
de petits préjudices écologiques », nous sommes appelés à reconnaître «
notre contribution – petite ou grande – à la défiguration et à la
destruction de la création ».[14]
Sur ce point, il s’est exprimé à plusieurs reprises d’une manière ferme
et stimulante, nous invitant à reconnaître les péchés contre la
création : « Que les hommes dégradent l’intégrité de la terre en
provoquant le changement climatique, en dépouillant la terre de ses
forêts naturelles ou en détruisant ses zones humides ; que les hommes
portent préjudice à leurs semblables par des maladies en contaminant les
eaux, le sol, l’air et l’environnement par des substances polluantes,
tout cela, ce sont des péchés » ;[15] car « un crime contre la nature est un crime contre nous-mêmes et un péché contre Dieu ».[16]
9. En même temps, Bartholomée a attiré l’attention sur les racines
éthiques et spirituelles des problèmes environnementaux qui demandent
que nous trouvions des solutions non seulement grâce à la technique mais
encore à travers un changement de la part de l’être humain, parce
qu’autrement nous affronterions uniquement les symptômes. Il nous a
proposé de passer de la consommation au sacrifice, de l’avidité à la
générosité, du gaspillage à la capacité de partager, dans une ascèse qui
« signifie apprendre à donner, et non simplement à renoncer. C’est une
manière d’aimer, de passer progressivement de ce que je veux à ce dont
le monde de Dieu a besoin. C’est la libération de la peur, de l’avidité,
de la dépendance ».[17]
Nous chrétiens, en outre, nous sommes appelés à « accepter le monde
comme sacrement de communion, comme manière de partager avec Dieu et
avec le prochain à une échelle globale. C’est notre humble conviction
que le divin et l’humain se rencontrent même dans les plus petits
détails du vêtement sans coutures de la création de Dieu, jusque dans
l’infime grain de poussière de notre planète ».[18]
Saint François d’Assise
10. Je ne veux pas poursuivre cette Encyclique sans recourir à un
beau modèle capable de nous motiver. J’ai pris son nom comme guide et
inspiration au moment de mon élection en tant qu’Évêque de Rome. Je
crois que François est l’exemple par excellence de la protection de ce
qui est faible et d’une écologie intégrale, vécue avec joie et
authenticité. C’est le saint patron de tous ceux qui étudient et
travaillent autour de l’écologie, aimé aussi par beaucoup de personnes
qui ne sont pas chrétiennes. Il a manifesté une attention particulière
envers la création de Dieu ainsi qu’envers les pauvres et les
abandonnés. Il aimait et était aimé pour sa joie, pour son généreux
engagement et pour son cœur universel. C’était un mystique et un pèlerin
qui vivait avec simplicité et dans une merveilleuse harmonie avec Dieu,
avec les autres, avec la nature et avec lui-même. En lui, on voit
jusqu’à quel point sont inséparables la préoccupation pour la nature, la
justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la paix
intérieure.
11. Son témoignage nous montre aussi qu’une écologie intégrale
requiert une ouverture à des catégories qui transcendent le langage des
mathématiques ou de la biologie, et nous orientent vers l’essence de
l’humain. Tout comme cela arrive quand nous tombons amoureux d’une
personne, chaque fois qu’il regardait le soleil, la lune ou les animaux
même les plus petits, sa réaction était de chanter, en incorporant dans
sa louange les autres créatures. Il entrait en communication avec toute
la création, et il prêchait même aux fleurs « en les invitant à louer le
Seigneur, comme si elles étaient dotées de raison ».[19]
Sa réaction était bien plus qu’une valorisation intellectuelle ou qu’un
calcul économique, parce que pour lui, n’importe quelle créature était
une sœur, unie à lui par des liens d’affection. Voilà pourquoi il se
sentait appelé à protéger tout ce qui existe. Son disciple saint
Bonaventure rapportait que, « considérant que toutes les choses ont une
origine commune, il se sentait rempli d’une tendresse encore plus grande
et il appelait les créatures, aussi petites soient-elles, du nom de
frère ou de sœur ».[20]
Cette conviction ne peut être considérée avec mépris comme un
romantisme irrationnel, car elle a des conséquences sur les opinions qui
déterminent notre comportement. Si nous nous approchons de la nature et
de l’environnement sans cette ouverture à l’étonnement et à
l’émerveillement, si nous ne parlons plus le langage de la fraternité et
de la beauté dans notre relation avec le monde, nos attitudes seront
celles du dominateur, du consommateur ou du pur exploiteur de
ressources, incapable de fixer des limites à ses intérêts immédiats. En
revanche, si nous nous sentons intimement unis à tout ce qui existe, la
sobriété et le souci de protection jailliront spontanément. La pauvreté
et l’austérité de saint François n’étaient pas un ascétisme purement
extérieur, mais quelque chose de plus radical : un renoncement à
transformer la réalité en pur objet d'usage et de domination.
D’autre part, saint François, fidèle à l’Écriture, nous propose de
reconnaître la nature comme un splendide livre dans lequel Dieu nous
parle et nous révèle quelque chose de sa beauté et de sa bonté : « La
grandeur et la beauté des créatures font contempler, par analogie, leur
Auteur » (Sg 13, 5), et « ce que Dieu a d’invisible depuis la
création du monde, se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres,
son éternelle puissance et sa divinité » (Bm 1, 20). C’est
pourquoi il demandait qu’au couvent on laisse toujours une partie du
jardin sans la cultiver, pour qu’y croissent les herbes sauvages, de
sorte que ceux qui les admirent puissent élever leur pensée vers Dieu,
auteur de tant de beauté.[21] Le monde est plus qu’un problème à résoudre, il est un mystère joyeux que nous contemplons dans la joie et dans la louange.
Mon appel
13. Le défi urgent de sauvegarder notre maison commune inclut la
préoccupation d’unir toute la famille humaine dans la recherche d’un
développement durable et intégral, car nous savons que les choses
peuvent changer. Le Créateur ne nous abandonne pas, jamais il ne fait
marche arrière dans son projet d’amour, il ne se repent pas de nous
avoir créés. L’humanité possède encore la capacité de collaborer pour
construire notre maison commune. Je souhaite saluer, encourager et
remercier tous ceux qui, dans les secteurs les plus variés de l’activité
humaine, travaillent pour assurer la sauvegarde de la maison que nous
partageons. Ceux qui luttent avec vigueur pour affronter les
conséquences dramatiques de la dégradation de l’environnement sur la vie
des plus pauvres dans le monde, méritent une gratitude spéciale. Les
jeunes nous réclament un changement. Ils se demandent comment il est
possible de prétendre construire un avenir meilleur sans penser à la
crise de l’environnement et aux souffrances des exclus.
14. J’adresse une invitation urgente à un nouveau dialogue sur la
façon dont nous construisons l’avenir de la planète. Nous avons besoin
d’une conversion qui nous unisse tous, parce que le défi environnemental
que nous vivons, et ses racines humaines, nous concernent et nous
touchent tous. Le mouvement écologique mondial a déjà parcouru un long
chemin, digne d’appréciation, et il a généré de nombreuses associations
citoyennes qui ont aidé à la prise de conscience. Malheureusement,
beaucoup d’efforts pour chercher des solutions concrètes à la crise
environnementale échouent souvent, non seulement à cause de l’opposition
des puissants, mais aussi par manque d’intérêt de la part des autres.
Les attitudes qui obstruent les chemins de solutions, même parmi les
croyants, vont de la négation du problème jusqu’à l’indifférence, la
résignation facile, ou la confiance aveugle dans les solutions
techniques. Il nous faut une nouvelle solidarité universelle. Comme
l’ont affirmé les Évêques d’Afrique du Sud, « les talents et
l’implication de tous sont nécessaires pour réparer les dommages causés par les abus humains à l'encontre de la création de Dieu ».[22]
Tous, nous pouvons collaborer comme instruments de Dieu pour la
sauvegarde de la création, chacun selon sa culture, son expérience, ses
initiatives et ses capacités.
15. J’espère que cette Lettre encyclique, qui s’ajoute au Magistère
social de l’Église, nous aidera à reconnaître la grandeur, l’urgence et
la beauté du défi qui se présente à nous. En premier lieu, je
présenterai un bref aperçu des différents aspects de la crise écologique
actuelle, en vue de prendre en considération les meilleurs résultats de
la recherche scientifique disponible aujourd’hui, d’en faire voir la
profondeur et de donner une base concrète au parcours éthique et
spirituel qui suit. À partir de cet aperçu, je reprendrai certaines
raisons qui se dégagent de la tradition judéo-chrétienne, afin de donner
plus de cohérence à notre engagement en faveur de l’environnement.
Ensuite, j’essaierai d’arriver aux racines de la situation actuelle,
pour que nous ne considérions pas seulement les symptômes, mais aussi
les causes les plus profondes. Nous pourrons ainsi proposer une écologie
qui, dans ses différentes dimensions, incorpore la place spécifique de
l’être humain dans ce monde et ses relations avec la réalité qui
l’entoure. À la lumière de cette réflexion, je voudrais avancer quelques
grandes lignes de dialogue et d’action qui concernent aussi bien chacun
de nous que la politique internationale. Enfin, puisque je suis
convaincu que tout changement a besoin de motivations et d’un chemin
éducatif, je proposerai quelques lignes de maturation humaine inspirées
par le trésor de l’expérience spirituelle chrétienne.
16. Bien que chaque chapitre possède sa propre thématique et une
méthodologie spécifique, il reprend à son tour, à partir d’une nouvelle
optique, des questions importantes abordées dans les chapitres
antérieurs. C’est le cas spécialement de certains axes qui traversent
toute l’Encyclique. Par exemple : l’intime relation entre les pauvres et
la fragilité de la planète ; la conviction que tout est lié dans le
monde ; la critique du nouveau paradigme et des formes de pouvoir qui
dérivent de la technologie ; l’invitation à chercher d’autres façons de
comprendre l’économie et le progrès ; la valeur propre de chaque
créature ; le sens humain de l’écologie ; la nécessité de débats
sincères et honnêtes ; la grave responsabilité de la politique
internationale et locale ; la culture du déchet et la proposition d’un
nouveau style de vie. Ces thèmes ne sont jamais clos, ni ne sont laissés
de côté, mais ils sont constamment repris et enrichis.
PREMIER CHAPITRE
CE QUI SE PASSE DANS NOTRE MAISON
17. Les réflexions théologiques ou philosophiques sur la situation de
l’humanité et du monde, peuvent paraître un message répétitif et
abstrait, si elles ne se présentent pas de nouveau à partir d’une
confrontation avec le contexte actuel, en ce qu’il a d’inédit pour
l’histoire de l’humanité. Voilà pourquoi avant de voir comment la foi
apporte de nouvelles motivations et de nouvelles exigences face au monde
dont nous faisons partie, je propose de nous arrêter brièvement pour
considérer ce qui se passe dans notre maison commune.
18. L’accélération continuelle des changements de l’humanité et de la
planète s’associe aujourd’hui à l’intensification des rythmes de vie et
de travail, dans ce que certains appellent “rapidación”. Bien
que le changement fasse partie de la dynamique des systèmes complexes,
la rapidité que les actions humaines lui imposent aujourd’hui contraste
avec la lenteur naturelle de l’évolution biologique. À cela, s’ajoute le
fait que les objectifs de ce changement rapide et constant ne sont pas
nécessairement orientés vers le bien commun, ni vers le développement
humain, durable et intégral. Le changement est quelque chose de
désirable, mais il devient préoccupant quand il en vient à détériorer le
monde et la qualité de vie d’une grande partie de l’humanité.
19. Après un temps de confiance irrationnelle dans le progrès et dans
la capacité humaine, une partie de la société est en train d’entrer
dans une phase de plus grande prise de conscience. On observe une
sensibilité croissante concernant aussi bien l’environnement que la
protection de la nature, tout comme une sincère et douloureuse
préoccupation grandit pour ce qui arrive à notre planète. Faisons un
tour, certainement incomplet, de ces questions qui aujourd’hui suscitent
notre inquiétude, et que nous ne pouvons plus mettre sous le tapis.
L’objectif n’est pas de recueillir des informations ni de satisfaire
notre curiosité, mais de prendre une douloureuse conscience, d’oser
transformer en souffrance personnelle ce qui se passe dans le monde, et
ainsi de reconnaître la contribution que chacun peut apporter.
I. POLLUTION ET CHANGEMENT CLIMATIQUE
Pollution, ordure et culture du déchet
20. Il existe des formes de pollution qui affectent quotidiennement
les personnes. L’exposition aux polluants atmosphériques produit une
large gamme d’effets sur la santé, en particulier des plus pauvres, en
provoquant des millions de morts prématurées. Ces personnes tombent
malades, par exemple, à cause de l’inhalation de niveaux élevés de
fumées provenant de la combustion qu’elles utilisent pour faire la
cuisine ou pour se chauffer. À cela, s’ajoute la pollution qui affecte
tout le monde, due aux moyens de transport, aux fumées de l’industrie,
aux dépôts de substances qui contribuent à l’acidification du sol et de
l’eau, aux fertilisants, insecticides, fongicides, désherbants et
agro-chimiques toxiques en général. La technologie, liée aux secteurs
financiers, qui prétend être l’unique solution aux problèmes, de fait,
est ordinairement incapable de voir le mystère des multiples relations
qui existent entre les choses, et par conséquent, résout parfois un
problème en en créant un autre.
21. Il faut considérer également la pollution produite par les
déchets, y compris les ordures dangereuses présentes dans différents
milieux. Des centaines de millions de tonnes de déchets sont produites
chaque année, dont beaucoup ne sont pas biodégradables : des déchets
domestiques et commerciaux, des déchets de démolition, des déchets
cliniques, électroniques et industriels, des déchets hautement toxiques
et radioactifs. La terre, notre maison commune, semble se transformer
toujours davantage en un immense dépotoir. À plusieurs endroits de la
planète, les personnes âgées ont la nostalgie des paysages d’autrefois,
qui aujourd’hui se voient inondés d’ordures. Aussi bien les déchets
industriels que les produits chimiques utilisés dans les villes et dans
l’agriculture peuvent provoquer un effet de bio-accumulation dans les
organismes des populations voisines, ce qui arrive même quand le taux de
présence d’un élément toxique en un lieu est bas. Bien des fois, on
prend des mesures seulement quand des effets irréversibles pour la santé
des personnes se sont déjà produits.
Ces problèmes sont intimement liés à la culture du déchet, qui
affecte aussi bien les personnes exclues que les choses, vite
transformées en ordures. Réalisons, par exemple, que la majeure partie
du papier qui est produit, est gaspillée et n’est pas recyclée. Il nous
coûte de reconnaître que le fonctionnement des écosystèmes naturels est
exemplaire : les plantes synthétisent des substances qui alimentent les
herbivores ; ceux-ci à leur tour alimentent les carnivores, qui
fournissent d’importantes quantités de déchets organiques, lesquels
donnent lieu à une nouvelle génération de végétaux. Par contre, le
système industriel n’a pas développé, en fin de cycle de production et
de consommation, la capacité d’absorber et de réutiliser déchets et
ordures. On n’est pas encore arrivé à adopter un modèle circulaire de
production qui assure des ressources pour tous comme pour les
générations futures, et qui suppose de limiter au maximum l’utilisation
des ressources non renouvelables, d’en modérer la consommation, de
maximiser l’efficacité de leur exploitation, de les réutiliser et de les
recycler. Aborder cette question serait une façon de contrecarrer la
culture du déchet qui finit par affecter la planète entière, mais nous
remarquons que les progrès dans ce sens sont encore très insuffisants.
Le climat comme bien commun
23. Le climat est un bien commun, de tous et pour tous. Au niveau
global, c’est un système complexe en relation avec beaucoup de
conditions essentielles pour la vie humaine. Il existe un consensus
scientifique très solide qui indique que nous sommes en présence d’un
réchauffement préoccupant du système climatique. Au cours des dernières
décennies, ce réchauffement a été accompagné de l’élévation constante du
niveau de la mer, et il est en outre difficile de ne pas le mettre en
relation avec l’augmentation d’événements météorologiques extrêmes,
indépendamment du fait qu’on ne peut pas attribuer une cause
scientifiquement déterminable à chaque phénomène particulier. L’humanité
est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des
changements de style de vie, de production et de consommation, pour
combattre ce réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui le
provoquent ou l’accentuent. Il y a, certes, d’autres facteurs (comme le
volcanisme, les variations de l’orbite et de l’axe de la terre, le
cycle solaire), mais de nombreuses études scientifiques signalent que la
plus grande partie du réchauffement global des dernières décennies est
due à la grande concentration de gaz à effet de serre (dioxyde de
carbone, méthane, oxyde de nitrogène et autres) émis surtout à cause de
l’activité humaine. En se concentrant dans l’atmosphère, ils empêchent
la chaleur des rayons solaires réfléchis par la terre de se perdre dans
l’espace. Cela est renforcé en particulier par le modèle de
développement reposant sur l’utilisation intensive de combustibles
fossiles, qui constitue le cœur du système énergétique mondial. Le fait
de changer de plus en plus les utilisations du sol, principalement la
déforestation pour l’agriculture, a aussi des impacts.
24. À son tour, le réchauffement a des effets sur le cycle du
carbone. Il crée un cercle vicieux qui aggrave encore plus la situation,
affectera la disponibilité de ressources indispensables telles que
l’eau potable, l’énergie ainsi que la production agricole des zones les
plus chaudes, et provoquera l’extinction d’une partie de la biodiversité
de la planète. La fonte des glaces polaires et de celles des plaines
d’altitude menace d’une libération à haut risque de méthane ; et la
décomposition de la matière organique congelée pourrait accentuer encore
plus l’émanation de dioxyde de carbone. De même, la disparition de
forêts tropicales aggrave la situation, puisqu’elles contribuent à
tempérer le changement climatique. La pollution produite par le dioxyde
de carbone augmente l’acidité des océans et compromet la chaîne
alimentaire marine. Si la tendance actuelle continuait, ce siècle
pourrait être témoin de changements climatiques inédits et d’une
destruction sans précédent des écosystèmes, avec de graves conséquences
pour nous tous. L’élévation du niveau de la mer, par exemple, peut créer
des situations d’une extrême gravité si on tient compte du fait que le
quart de la population mondiale vit au bord de la mer ou très proche, et
que la plupart des mégapoles sont situées en zones côtières.
25. Le changement climatique est un problème global aux graves
répercussions environnementales, sociales, économiques, distributives
ainsi que politiques, et constitue l’un des principaux défis actuels
pour l’humanité. Les pires conséquences retomberont probablement au
cours des prochaines décennies sur les pays en développement. Beaucoup
de pauvres vivent dans des endroits particulièrement affectés par des
phénomènes liés au réchauffement, et leurs moyens de subsistance
dépendent fortement des réserves naturelles et des services de
l’écosystème, comme l’agriculture, la pêche et les ressources
forestières. Ils n’ont pas d’autres activités financières ni d’autres
ressources qui leur permettent de s’adapter aux impacts climatiques, ni
de faire face à des situations catastrophiques, et ils ont peu d’accès
aux services sociaux et à la protection. Par exemple, les changements du
climat provoquent des migrations d’animaux et de végétaux qui ne
peuvent pas toujours s’adapter, et cela affecte à leur tour les moyens
de production des plus pauvres, qui se voient aussi obligés d’émigrer
avec une grande incertitude pour leur avenir et pour l'avenir de leurs
enfants. L’augmentation du nombre de migrants fuyant la misère, accrue
par la dégradation environnementale, est tragique ; ces migrants ne sont
pas reconnus comme réfugiés par les conventions internationales et ils
portent le poids de leurs vies à la dérive, sans aucune protection
légale. Malheureusement, il y a une indifférence générale face à ces
tragédies qui se produisent en ce moment dans diverses parties du monde.
Le manque de réactions face à ces drames de nos frères et sœurs est un
signe de la perte de ce sens de responsabilité à l’égard de nos
semblables, sur lequel se fonde toute société civile.
26. Beaucoup de ceux qui détiennent plus de ressources et de pouvoir
économique ou politique semblent surtout s’évertuer à masquer les
problèmes ou à occulter les symptômes, en essayant seulement de réduire
certains impacts négatifs du changement climatique. Mais beaucoup de
symptômes indiquent que ces effets ne cesseront pas d’empirer si nous
maintenons les modèles actuels de production et de consommation. Voilà
pourquoi il devient urgent et impérieux de développer des politiques
pour que, les prochaines années, l’émission du dioxyde de carbone et
d’autres gaz hautement polluants soit réduite de façon drastique, par
exemple en remplaçant l’utilisation de combustibles fossiles et en
accroissant des sources d’énergie renouvelable. Dans le monde, il y a un
niveau d’accès réduit à des énergies propres et renouvelables. Il est
encore nécessaire de développer des technologies adéquates
d’accumulation. Cependant, dans certains pays, des progrès qui
commencent à être significatifs ont été réalisés, bien qu’ils soient
loin d’atteindre un niveau suffisant. Il y a eu aussi quelques
investissements dans les moyens de production et de transport qui
consomment moins d’énergie et requièrent moins de matière première,
comme dans le domaine de la construction ou de la réfection d’édifices
pour en améliorer l’efficacité énergétique. Mais ces bonnes pratiques
sont loin de se généraliser.
II. LA QUESTION DE L’EAU
27. D’autres indicateurs de la situation actuelle concernent
l’épuisement des ressources naturelles. Nous sommes bien conscients de
l’impossibilité de maintenir le niveau actuel de consommation des pays
les plus développés et des secteurs les plus riches des sociétés, où
l’habitude de dépenser et de jeter atteint des niveaux inédits. Déjà les
limites maximales d’exploitation de la planète ont été dépassées, sans
que nous ayons résolu le problème de la pauvreté.
L’eau potable et pure représente une question de première importance,
parce qu’elle est indispensable pour la vie humaine comme pour soutenir
les écosystèmes terrestres et aquatiques. Les sources d’eau douce
approvisionnent des secteurs sanitaires, agricoles et de la pêche ainsi
qu’industriels. La provision d’eau est restée relativement constante
pendant longtemps, mais en beaucoup d’endroits la demande dépasse
l’offre durable, avec de graves conséquences à court et à long terme. De
grandes villes qui ont besoin d’une importante quantité d’eau en
réserve, souffrent de périodes de diminution de cette ressource, qui
n’est pas toujours gérée de façon équitable et impartiale aux moments
critiques. Le manque d’eau courante s’enregistre spécialement en
Afrique, où de grands secteurs de la population n’ont pas accès à une
eau potable sûre, ou bien souffrent de sécheresses qui rendent difficile
la production d’aliments. Dans certains pays, il y a des régions qui
disposent de l’eau en abondance et en même temps d’autres qui souffrent
de grave pénurie.
29. Un problème particulièrement sérieux est celui de la qualité de
l’eau disponible pour les pauvres, ce qui provoque beaucoup de morts
tous les jours. Les maladies liées à l’eau sont fréquentes chez les
pauvres, y compris les maladies causées par les micro-organismes et par
des substances chimiques. La diarrhée et le choléra, qui sont liés aux
services hygiéniques et à l’approvisionnement en eau impropre à la
consommation, sont un facteur significatif de souffrance et de mortalité
infantile. Les eaux souterraines en beaucoup d’endroits sont menacées
par la pollution que provoquent certaines activités extractives,
agricoles et industrielles, surtout dans les pays où il n’y a pas de
régulation ni de contrôles suffisants. Ne pensons pas seulement aux
décharges des usines. Les détergents et les produits chimiques
qu’utilise la population dans beaucoup d’endroits du monde continuent de
se déverser dans des rivières, dans des lacs et dans des mers.
30. Tandis que la qualité de l’eau disponible se détériore
constamment, il y a une tendance croissante, à certains endroits, à
privatiser cette ressource limitée, transformée en marchandise sujette
aux lois du marché. En réalité, l’accès à l’eau potable et sûre est
un droit humain primordial, fondamental et universel, parce qu’il
détermine la survie des personnes, et par conséquent il est une
condition pour l’exercice des autres droits humains. Ce monde a une grave dette sociale envers les pauvres qui n’ont pas accès à l’eau potable, parce que c’est leur nier le droit à la vie, enraciné dans leur dignité inaliénable.
Cette dette se règle en partie par des apports économiques conséquents
pour fournir l’eau potable et l’hygiène aux plus pauvres. Mais on
observe le gaspillage d’eau, non seulement dans les pays développés,
mais aussi dans les pays les moins développés qui possèdent de grandes
réserves. Cela montre que le problème de l’eau est en partie une
question éducative et culturelle, parce que la conscience de la gravité
de ces conduites, dans un contexte de grande injustice, manque.
31. Une grande pénurie d’eau provoquera l’augmentation du coût des
aliments comme celle du coût de différents produits qui dépendent de son
utilisation. Certaines études ont alerté sur la possibilité de souffrir
d’une pénurie aiguë d’eau dans quelques décennies, si on n’agit pas en
urgence. Les impacts sur l’environnement pourraient affecter des
milliers de millions de personnes, et il est prévisible que le contrôle
de l’eau par de grandes entreprises mondiales deviendra l’une des
principales sources de conflits de ce siècle.[23]
III. LA PERTE DE BIODIVERSITÉ
32. Les ressources de la terre sont aussi objet de déprédation à
cause de la conception de l’économie ainsi que de l’activité commerciale
et productive fondées sur l’immédiateté. La disparition de forêts et
d’autres végétations implique en même temps la disparition d’espèces qui
pourraient être à l’avenir des ressources extrêmement importantes, non
seulement pour l’alimentation, mais aussi pour la guérison de maladies
et pour de multiples services. Les diverses espèces contiennent des
gènes qui peuvent être des ressources-clefs pour subvenir, à l’avenir, à
certaines nécessités humaines ou pour réguler certains problèmes de
l’environnement.
33. Mais il ne suffit pas de penser aux différentes espèces seulement
comme à d’éventuelles “ressources” exploitables, en oubliant qu’elles
ont une valeur en elles-mêmes. Chaque année, disparaissent des milliers
d’espèces végétales et animales que nous ne pourrons plus connaître, que
nos enfants ne pourront pas voir, perdues pour toujours.
L’immense majorité disparaît pour des raisons qui tiennent à une
action humaine. À cause de nous, des milliers d’espèces ne rendront plus
gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous communiquer
leur propre message. Nous n’en avons pas le droit.
34. Probablement, cela nous inquiète d’avoir connaissance de
l’extinction d’un mammifère ou d’un oiseau, à cause de leur visibilité
plus grande. Mais, pour le bon fonctionnement des écosystèmes, les
champignons, les algues, les vers, les insectes, les reptiles et
l’innombrable variété de micro-organismes sont aussi nécessaires.
Certaines espèces peu nombreuses, qui sont d’habitude imperceptibles,
jouent un rôle fondamental pour établir l’équilibre d’un lieu. Certes,
l’être humain doit intervenir quand un géo-système entre dans un état
critique ; mais aujourd’hui le niveau d’intervention humaine, dans une
réalité si complexe comme la nature, est tel que les constants désastres
provoqués par l’être humain appellent une nouvelle intervention de sa
part, si bien que l’activité humaine devient omniprésente, avec tous les
risques que cela implique. Il se crée en général un cercle vicieux où
l’intervention de l’être humain pour résoudre une difficulté, bien des
fois, aggrave encore plus la situation. Par exemple, beaucoup d’oiseaux
et d’insectes qui disparaissent à cause des agro-toxiques créés par la
technologie, sont utiles à cette même agriculture et leur disparition
devra être substituée par une autre intervention technologique qui
produira probablement d’autres effets nocifs. Les efforts des
scientifiques et des techniciens, qui essaient d’apporter des solutions
aux problèmes créés par l’être humain, sont louables et parfois
admirables. Mais en regardant le monde, nous remarquons que ce niveau
d’intervention humaine, fréquemment au service des finances et du
consumérisme, fait que la terre où nous vivons devient en réalité moins
riche et moins belle, toujours plus limitée et plus grise, tandis qu’en
même temps le développement de la technologie et des offres de
consommation continue de progresser sans limite. Il semble ainsi que
nous prétendions substituer à une beauté, irremplaçable et
irrécupérable, une autre créée par nous.
35. Quand on analyse l’impact environnemental d’une entreprise, on en
considère ordinairement les effets sur le sol, sur l’eau et sur l’air,
mais on n’inclut pas toujours une étude soignée de son impact sur la
biodiversité, comme si la disparition de certaines espèces ou de groupes
d’animaux ou de végétaux était quelque chose de peu d’importance. Les
routes, les nouvelles cultures, les grillages, les barrages et d’autres
constructions prennent progressivement possession des habitats, et
parfois les fragmentent de telle manière que les populations d’animaux
ne peuvent plus migrer ni se déplacer librement, si bien que certaines
espèces sont menacées d’extinction. Il existe des alternatives qui
peuvent au moins atténuer l’impact de ces ouvrages, comme la création de
corridors biologiques, mais on observe cette attention et cette
prévention en peu de pays. Quand on exploite commercialement certaines
espèces, on n’étudie pas toujours leur forme de croissance pour éviter
leur diminution excessive, avec le déséquilibre de l’écosystème qui en
résulterait.
36. La sauvegarde des écosystèmes suppose un regard qui aille au-delà
de l’immédiat, car lorsqu’on cherche seulement un rendement économique
rapide et facile, leur préservation n’intéresse réellement personne.
Mais le coût des dommages occasionnés par la négligence égoïste est
beaucoup plus élevé que le bénéfice économique qui peut en être obtenu.
Dans le cas de la disparition ou de graves dommages à certaines espèces,
nous parlons de valeurs qui excèdent tout calcul. C’est pourquoi nous
pouvons être des témoins muets de bien graves injustices, quand certains
prétendent obtenir d’importants bénéfices en faisant payer au reste de
l’humanité, présente et future, les coûts très élevés de la dégradation
de l’environnement.
37. Quelques pays ont progressé dans la préservation efficace de
certains lieux et de certaines zones – sur terre et dans les océans – où
l’on interdit toute intervention humaine qui pourrait en modifier la
physionomie ou en altérer la constitution originelle. Dans la
préservation de la biodiversité, les spécialistes insistent sur la
nécessité d’accorder une attention spéciale aux zones les plus riches en
variétés d’espèces, aux espèces endémiques rares ou ayant un faible
degré de protection effective. Certains endroits requièrent une
protection particulière à cause de leur énorme importance pour
l’écosystème mondial, ou parce qu’ils constituent d’importantes réserves
d’eau et assurent ainsi d’autres formes de vie.
38. Mentionnons, par exemple, ces poumons de la planète pleins de
biodiversité que sont l’Amazonie et le bassin du fleuve Congo, ou bien
les grandes surfaces aquifères et les glaciers. On n’ignore pas
l’importance de ces lieux pour toute la planète et pour l’avenir de
l’humanité. Les écosystèmes des forêts tropicales ont une biodiversité
d’une énorme complexité, presqu’impossible à répertorier intégralement,
mais quand ces forêts sont brûlées ou rasées pour développer des
cultures, d’innombrables espèces disparaissent en peu d’années, quand
elles ne se transforment pas en déserts arides. Cependant, un équilibre
délicat s’impose, quand on parle de ces endroits, parce qu’on ne peut
pas non plus ignorer les énormes intérêts économiques internationaux
qui, sous prétexte de les sauvegarder, peuvent porter atteinte aux
souverainetés nationales. De fait, il existe « des propositions
d’internationalisation de l’Amazonie, qui servent uniquement des
intérêts économiques des corporations transnationales ».[24]
Elle est louable la tâche des organismes internationaux et des
organisations de la société civile qui sensibilisent les populations et
coopèrent de façon critique, en utilisant aussi des mécanismes de
pression légitimes, pour que chaque gouvernement accomplisse son propre
et intransférable devoir de préserver l’environnement ainsi que les
ressources naturelles de son pays, sans se vendre à des intérêts
illégitimes locaux ou internationaux.
39. Le remplacement de la flore sauvage par des aires reboisées, qui
généralement sont des mono-cultures, ne fait pas ordinairement l’objet
d’une analyse adéquate. En effet, ce remplacement peut affecter
gravement une biodiversité qui n’est pas hébergée par les nouvelles
espèces qu’on implante. Les zones humides, qui sont transformées en
terrain de culture, perdent aussi l’énorme biodiversité qu’elles
accueillaient. Dans certaines zones côtières, la disparition des
écosystèmes constitués par les mangroves est préoccupante.
40. Les océans non seulement constituent la majeure partie de l’eau
de la planète, mais aussi la majeure partie de la grande variété des
êtres vivants, dont beaucoup nous sont encore inconnus et sont menacés
par diverses causes. D’autre part, la vie dans les fleuves, les lacs,
les mers et les océans, qui alimente une grande partie de la population
mondiale, se voit affectée par l’extraction désordonnée des ressources
de pêche, provoquant des diminutions drastiques de certaines espèces.
Des formes sélectives de pêche, qui gaspillent une grande partie des
espèces capturées, continuent encore de se développer. Les organismes
marins que nous ne prenons pas en considération sont spécialement
menacés, comme certaines formes de plancton qui constituent une
composante très importante dans la chaîne alimentaire marine, et dont
dépendent, en définitive, les espèces servant à notre subsistance.
41. En pénétrant dans les mers tropicales et subtropicales, nous
trouvons les barrières de corail, qui équivalent aux grandes forêts de
la terre, parce qu’elles hébergent approximativement un million
d’espèces, incluant des poissons, des crabes, des mollusques, des
éponges, des algues, et autres. Déjà, beaucoup de barrières de corail
dans le monde sont aujourd’hui stériles ou déclinent continuellement : «
Qui a transformé le merveilleux monde marin en cimetières sous-marins
dépourvus de vie et de couleurs ? ».[25]
Ce phénomène est dû en grande partie à la pollution qui atteint la mer,
résultat de la déforestation, des monocultures agricoles, des déchets
industriels et des méthodes destructives de pêche, spécialement celles
qui utilisent le cyanure et la dynamite. Il s’aggrave à cause de
l’élévation de la température des océans. Tout cela nous aide à réaliser
comment n’importe quelle action sur la nature peut avoir des
conséquences que nous ne soupçonnons pas à première vue, et que
certaines formes d’exploitation de ressources se font au prix d’une
dégradation qui finalement atteint même le fond des océans.
42. Il est nécessaire d’investir beaucoup plus dans la recherche pour
mieux comprendre le comportement des écosystèmes et analyser
adéquatement les divers paramètres de l’impact de toute modification
importante de l’environnement. En effet, toutes les créatures sont
liées, chacune doit être valorisée avec affection et admiration, et tous
en tant qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres. Chaque
territoire a une responsabilité dans la sauvegarde de cette famille et
devrait donc faire un inventaire détaillé des espèces qu’il héberge,
afin de développer des programmes et des stratégies de protection, en
préservant avec un soin particulier les espèces en voie d’extinction.
IV. DÉTÉRIORATION DE LA QUALITÉ DE LA VIE HUMAINE ET DÉGRADATION SOCIALE
43. Si nous tenons compte du fait que l’être humain est aussi une
créature de ce monde, qui a le droit de vivre et d’être heureux, et qui
de plus a une dignité éminente, nous ne pouvons pas ne pas prendre en
considération les effets de la dégradation de l’environnement, du modèle
actuel de développement et de la culture du déchet, sur la vie des
personnes.
44. Aujourd’hui nous observons, par exemple, la croissance démesurée
et désordonnée de beaucoup de villes qui sont devenues insalubres pour y
vivre, non seulement du fait de la pollution causée par les émissions
toxiques, mais aussi à cause du chaos urbain, des problèmes de
transport, et de la pollution visuelle ainsi que sonore. Beaucoup de
villes sont de grandes structures inefficaces qui consomment énergie et
eau en excès. Certains quartiers, bien que récemment construits, sont
congestionnés et désordonnés, sans espaces verts suffisants. Les
habitants de cette planète ne sont pas faits pour vivre en étant
toujours plus envahis par le ciment, l’asphalte, le verre et les métaux,
privés du contact physique avec la nature.
45. À certains endroits, en campagne comme en ville, la privatisation
des espaces a rendu difficile l’accès des citoyens à des zones
particulièrement belles. À d’autres endroits, on crée des urbanisations “
écologiques ” seulement au service de quelques-uns, en évitant que les
autres entrent pour perturber une tranquillité artificielle. Une ville
belle et pleine d’espaces verts bien protégés se trouve ordinairement
dans certaines zones “ sûres ”, mais beaucoup moins dans des zones peu
visibles, où vivent les marginalisés de la société.
46. Parmi les composantes sociales du changement global figurent les
effets de certaines innovations technologiques sur le travail,
l’exclusion sociale, l’inégalité dans la disponibilité et la
consommation d’énergie et d’autres services, la fragmentation sociale,
l’augmentation de la violence et l’émergence de nouvelles formes
d’agressivité sociale, le narcotrafic et la consommation croissante de
drogues chez les plus jeunes, la perte d’identité. Ce sont des signes,
parmi d’autres, qui montrent que la croissance de ces deux derniers
siècles n’a pas signifié sous tous ses aspects un vrai progrès intégral
ni une amélioration de la qualité de vie. Certains de ces signes sont en
même temps des symptômes d’une vraie dégradation sociale, d’une rupture
silencieuse des liens d’intégration et de communion sociale.
47. À cela s’ajoutent les dynamiques des moyens de communication
sociale et du monde digital, qui, en devenant omniprésentes, ne
favorisent pas le développement d’une capacité de vivre avec sagesse, de
penser en profondeur, d’aimer avec générosité. Les grands sages du
passé, dans ce contexte, auraient couru le risque de voir s’éteindre
leur sagesse au milieu du bruit de l’information qui devient
divertissement. Cela exige de nous un effort pour que ces moyens de
communication se traduisent par un nouveau développement culturel de
l’humanité, et non par une détérioration de sa richesse la plus
profonde. La vraie sagesse, fruit de la réflexion, du dialogue et de la
rencontre généreuse entre les personnes, ne s’obtient pas par une pure
accumulation de données qui finissent par saturer et obnubiler, comme
une espèce de pollution mentale. En même temps, les relations réelles
avec les autres tendent à être substituées, avec tous les défis que cela
implique, par un type de communication transitant par Internet. Cela
permet de sélectionner ou d’éliminer les relations selon notre libre
arbitre, et il naît ainsi un nouveau type d’émotions artificielles, qui
ont plus à voir avec des dispositifs et des écrans qu’avec les personnes
et la nature. Les moyens actuels nous permettent de communiquer et de
partager des connaissances et des sentiments. Cependant, ils nous
empêchent aussi parfois d’entrer en contact direct avec la détresse,
l’inquiétude, la joie de l’autre et avec la complexité de son expérience
personnelle. C’est pourquoi nous ne devrions pas nous étonner qu’avec
l’offre écrasante de ces produits se développe une profonde et
mélancolique insatisfaction dans les relations interpersonnelles, ou un
isolement dommageable.
V. INÉGALITÉ PLANÉTAIRE
48. L’environnement humain et l’environnement naturel se dégradent
ensemble, et nous ne pourrons pas affronter adéquatement la dégradation
de l’environnement si nous ne prêtons pas attention aux causes qui sont
en rapport avec la dégradation humaine et sociale. De fait, la
détérioration de l’environnement et celle de la société affectent d’une
manière spéciale les plus faibles de la planète : « Tant l’expérience
commune de la vie ordinaire que l’investigation scientifique démontrent
que ce sont les pauvres qui souffrent davantage des plus graves effets
de toutes les agressions environnementales ».[26]
Par exemple, l’épuisement des réserves de poissons nuit spécialement à
ceux qui vivent de la pêche artisanale et n’ont pas les moyens de la
remplacer ; la pollution de l’eau touche particulièrement les plus
pauvres qui n’ont pas la possibilité d’acheter de l’eau en bouteille, et
l’élévation du niveau de la mer affecte principalement les populations
côtières appauvries qui n’ont pas où se déplacer. L’impact des
dérèglements actuels se manifeste aussi à travers la mort prématurée de
beaucoup de pauvres, dans les conflits générés par manque de ressources
et à travers beaucoup d’autres problèmes qui n’ont pas assez d’espace
dans les agendas du monde.[27]
49. Je voudrais faire remarquer que souvent on n’a pas une conscience
claire des problèmes qui affectent particulièrement les exclus. Ils
sont la majeure partie de la planète, des milliers de millions de
personnes. Aujourd’hui, ils sont présents dans les débats politiques et
économiques internationaux, mais il semble souvent que leurs problèmes
se posent comme un appendice, comme une question qui s’ajoute presque
par obligation ou de manière marginale, quand on ne les considère pas
comme un pur dommage collatéral. De fait, au moment de l’action
concrète, ils sont relégués fréquemment à la dernière place. Cela est dû
en partie au fait que beaucoup de professionnels, de leaders d’opinion,
de moyens de communication et de centres de pouvoir sont situés loin
d’eux, dans des zones urbaines isolées, sans contact direct avec les
problèmes des exclus. Ceux-là vivent et réfléchissent à partir de la
commodité d’un niveau de développement et à partir d’une qualité de vie
qui ne sont pas à la portée de la majorité de la population mondiale. Ce
manque de contact physique et de rencontre, parfois favorisé par la
désintégration de nos villes, aide à tranquilliser la conscience et à
occulter une partie de la réalité par des analyses biaisées. Ceci
cohabite parfois avec un discours “ vert ”. Mais aujourd’hui, nous ne
pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres.
50. Au lieu de résoudre les problèmes des pauvres et de penser à un
monde différent, certains se contentent seulement de proposer une
réduction de la natalité. Les pressions internationales sur les pays en
développement ne manquent pas, conditionnant des aides économiques à
certaines politiques de “ santé reproductive ”. Mais « s’il est vrai que
la répartition inégale de la population et des ressources disponibles
crée des obstacles au développement et à l’utilisation durable de
l’environnement, il faut reconnaître que la croissance démographique est
pleinement compatible avec un développement intégral et solidaire ».[28]
Accuser l’augmentation de la population et non le consumérisme extrême
et sélectif de certains est une façon de ne pas affronter les problèmes.
On prétend légitimer ainsi le modèle de distribution actuel où une
minorité se croit le droit de consommer dans une proportion qu’il serait
impossible de généraliser, parce que la planète ne pourrait même pas
contenir les déchets d’une telle consommation. En outre, nous savons
qu’on gaspille approximativement un tiers des aliments qui sont
produits, et « que lorsque l’on jette de la nourriture, c’est comme si
l’on volait la nourriture à la table du pauvre ».[29]
De toute façon, il est certain qu’il faut prêter attention au
déséquilibre de la distribution de la population sur le territoire, tant
au niveau national qu’au niveau global, parce que l’augmentation de la
consommation conduirait à des situations régionales complexes, à cause
des combinaisons de problèmes liés à la pollution environnementale, au
transport, au traitement des déchets, à la perte de ressources et à la
qualité de vie, entre autres.
51. L’inégalité n’affecte pas seulement les individus, mais aussi des
pays entiers, et oblige à penser à une éthique des relations
internationales. Il y a, en effet, une vraie “ dette écologique ”,
particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des déséquilibres
commerciaux, avec des conséquences dans le domaine écologique, et liée
aussi à l’utilisation disproportionnée des ressources naturelles,
historiquement pratiquée par certains pays. Les exportations de diverses
matières premières pour satisfaire les marchés du Nord industrialisé
ont causé des dommages locaux, comme la pollution par le mercure dans
l’exploitation de l’or ou par le dioxyde de souffre dans l’exploitation
du cuivre. Il faut spécialement tenir compte de l’utilisation de
l’espace environnemental de toute la planète, quand il s’agit de stocker
les déchets gazeux qui se sont accumulés durant deux siècles et ont
généré une situation qui affecte actuellement tous les pays du monde. Le
réchauffement causé par l’énorme consommation de certains pays riches a
des répercussions sur les régions les plus pauvres de la terre,
spécialement en Afrique, où l’augmentation de la température jointe à la
sécheresse fait des ravages au détriment du rendement des cultures. À
cela, s’ajoutent les dégâts causés par l’exportation vers les pays en
développement des déchets solides ainsi que de liquides toxiques, et par
l’activité polluante d’entreprises qui s’autorisent dans les pays moins
développés ce qu’elles ne peuvent dans les pays qui leur apportent le
capital : « Nous constatons que souvent les entreprises qui agissent
ainsi sont des multinationales, qui font ici ce qu’on ne leur permet pas
dans des pays développés ou du dénommé premier monde. Généralement, en
cessant leurs activités et en se retirant, elles laissent de grands
passifs humains et environnementaux tels que le chômage, des populations
sans vie, l’épuisement de certaines réserves naturelles, la
déforestation, l’appauvrissement de l’agriculture et de l’élevage local,
des cratères, des coteaux triturés, des fleuves contaminés et quelques
œuvres sociales qu’on ne peut plus maintenir ».[30]
52. La dette extérieure des pays pauvres s’est transformée en un
instrument de contrôle, mais il n’en est pas de même avec la dette
écologique. De diverses manières, les peuples en développement, où se
trouvent les plus importantes réserves de la biosphère, continuent
d’alimenter le développement des pays les plus riches au prix de leur
présent et de leur avenir. La terre des pauvres du Sud est riche et peu
polluée, mais l’accès à la propriété des biens et aux ressources pour
satisfaire les besoins vitaux leur est interdit par un système de
relations commerciales et de propriété structurellement pervers. Il faut
que les pays développés contribuent à solder cette dette, en limitant
de manière significative la consommation de l’énergie non renouvelable
et en apportant des ressources aux pays qui ont le plus de besoins, pour
soutenir des politiques et des programmes de développement durable. Les
régions et les pays les plus pauvres ont moins de possibilités pour
adopter de nouveaux modèles en vue de réduire l’impact des activités de
l’homme sur l’environnement, parce qu’ils n’ont pas la formation pour
développer les processus nécessaires, et ils ne peuvent pas en assumer
les coûts. C’est pourquoi il faut maintenir claire la conscience que,
dans le changement climatique, il y a des responsabilités diversifiées et,
comme l’ont exprimé les Évêques des États-Unis, on doit se concentrer «
spécialement sur les besoins des pauvres, des faibles et des
vulnérables, dans un débat souvent dominé par les intérêts les plus
puissants ».[31]
Nous avons besoin de renforcer la conscience que nous sommes une seule
famille humaine. Il n’y a pas de frontières ni de barrières politiques
ou sociales qui nous permettent de nous isoler, et pour cela même il n’y
a pas non plus de place pour la globalisation de l’indifférence.
VI. LA FAIBLESSE DES RÉACTIONS
53. Ces situations provoquent les gémissements de sœur terre, qui se
joignent au gémissement des abandonnés du monde, dans une clameur
exigeant de nous une autre direction. Nous n’avons jamais autant
maltraité ni fait de mal à notre maison commune qu’en ces deux derniers
siècles. Mais nous sommes appelés à être les instruments de Dieu le Père
pour que notre planète soit ce qu’il a rêvé en la créant, et pour
qu’elle réponde à son projet de paix, de beauté et de plénitude. Le
problème est que nous n’avons pas encore la culture nécessaire pour
faire face à cette crise ; et il faut construire des leaderships qui
tracent des chemins, en cherchant à répondre aux besoins des générations
actuelles comme en incluant tout le monde, sans nuire aux générations
futures. Il devient indispensable de créer un système normatif qui
implique des limites infranchissables et assure la protection des
écosystèmes, avant que les nouvelles formes de pouvoir dérivées du
paradigme techno-économique ne finissent par raser non seulement la
politique mais aussi la liberté et la justice.
54. La faiblesse de la réaction politique internationale est
frappante. La soumission de la politique à la technologie et aux
finances se révèle dans l’échec des Sommets mondiaux sur
l’environnement. Il y a trop d’intérêts particuliers, et très facilement
l’intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien commun et à
manipuler l’information pour ne pas voir affectés ses projets. En ce
sens, le Document d’Aparecida réclame que « dans les
interventions sur les ressources naturelles ne prédominent pas les
intérêts des groupes économiques qui ravagent déraisonnablement les
sources de la vie ».[32]
L’alliance entre l’économie et la technologie finit par laisser de côté
ce qui ne fait pas partie de leurs intérêts immédiats. Ainsi, on peut
seulement s’attendre à quelques déclarations superficielles, quelques
actions philanthropiques isolées, voire des efforts pour montrer une
sensibilité envers l’environnement, quand, en réalité, toute tentative
des organisations sociales pour modifier les choses sera vue comme une
gêne provoquée par des utopistes romantiques ou comme un obstacle à
contourner.
55. Peu à peu certains pays peuvent enregistrer des progrès
importants, le développement de contrôles plus efficaces et une lutte
plus sincère contre la corruption. Il y a plus de sensibilité écologique
de la part des populations, bien que cela ne suffise pas pour modifier
les habitudes nuisibles de consommation, qui ne semblent pas céder mais
s’amplifient et se développent. C’est ce qui arrive, pour donner
seulement un exemple simple, avec l’augmentation croissante de
l’utilisation et de l’intensité des climatiseurs. Les marchés, en
cherchant un gain immédiat, stimulent encore plus la demande. Si
quelqu’un observait de l’extérieur la société planétaire, il
s’étonnerait face à un tel comportement qui semble parfois suicidaire.
56. Pendant ce temps, les pouvoirs économiques continuent de
justifier le système mondial actuel, où priment une spéculation et une
recherche du revenu financier qui tendent à ignorer tout contexte, de
même que les effets sur la dignité humaine et sur l’environnement.
Ainsi, il devient manifeste que la dégradation de l’environnement comme
la dégradation humaine et éthique sont intimement liées. Beaucoup diront
qu’ils n’ont pas conscience de réaliser des actions immorales, parce
que la distraction constante nous ôte le courage de nous rendre compte
de la réalité d’un monde limité et fini. Voilà pourquoi aujourd’hui «
tout ce qui est fragile, comme l’environnement, reste sans défense par
rapport aux intérêts du marché divinisé, transformés en règle absolue ».[33]
57. Il est prévisible que, face à l’épuisement de certaines
ressources, se crée progressivement un scénario favorable à de nouvelles
guerres, déguisées en revendications nobles. La guerre produit toujours
de graves dommages à l’environnement comme à la richesse culturelle des
populations, et les risques deviennent gigantesques quand on pense aux
armes nucléaires ainsi qu’aux armes biologiques. En effet, « malgré
l’interdiction par des accords internationaux de la guerre chimique,
bactériologique et biologique, en réalité la recherche continue dans les
laboratoires pour développer de nouvelles armes offensives capables
d’altérer les équilibres naturels ».[34]
Une plus grande attention est requise de la part de la politique pour
prévenir et pour s’attaquer aux causes qui peuvent provoquer de nouveaux
conflits. Mais c’est le pouvoir lié aux secteurs financiers qui résiste
le plus à cet effort, et les projets politiques n’ont pas
habituellement de largeur de vue. Pourquoi veut-on préserver aujourd'hui
un pouvoir qui laissera dans l’histoire le souvenir de son incapacité à
intervenir quand il était urgent et nécessaire de le faire ?
58. Dans certains pays, il y a des exemples positifs de réussites
dans les améliorations de l’environnement tels que l’assainissement de
certaines rivières polluées durant de nombreuses décennies, ou la
récupération de forêts autochtones, ou l’embellissement de paysages
grâce à des œuvres d’assainissement environnemental, ou des projets de
construction de bâtiments de grande valeur esthétique, ou encore, par
exemple, grâce à des progrès dans la production d’énergie non polluante,
dans les améliorations du transport public. Ces actions ne résolvent
pas les problèmes globaux, mais elles confirment que l’être humain est
encore capable d’intervenir positivement. Comme il a été créé pour
aimer, du milieu de ses limites, jaillissent inévitablement des gestes
de générosité, de solidarité et d’attention.
59. En même temps, une écologie superficielle ou apparente se
développe, qui consolide un certain assoupissement et une joyeuse
irresponsabilité. Comme cela arrive ordinairement aux époques de crises
profondes, qui requièrent des décisions courageuses, nous sommes tentés
de penser que ce qui est en train de se passer n’est pas certain. Si
nous regardons les choses en surface, au-delà de quelques signes
visibles de pollution et de dégradation, il semble qu’elles ne soient
pas si graves et que la planète pourrait subsister longtemps dans les
conditions actuelles. Ce comportement évasif nous permet de continuer à
maintenir nos styles de vie, de production et de consommation. C’est la
manière dont l’être humain s’arrange pour alimenter tous les vices
autodestructifs : en essayant de ne pas les voir, en luttant pour ne pas
les reconnaître, en retardant les décisions importantes, en agissant
comme si de rien n’était.
VII. DIVERSITÉ D’OPINIONS
60. Finalement, reconnaissons que diverses visions et lignes de
pensée se sont développées à propos de la situation et des solutions
possibles. À l’extrême, d’un côté, certains soutiennent à tout prix le
mythe du progrès et affirment que les problèmes écologiques seront
résolus simplement grâce à de nouvelles applications techniques, sans
considérations éthiques ni changements de fond. De l’autre côté,
d’autres pensent que, à travers n’importe laquelle de ses interventions,
l’être humain ne peut être qu’une menace et nuire à l’écosystème
mondial, raison pour laquelle il conviendrait de réduire sa présence sur
la planète et d’empêcher toute espèce d’intervention de sa part. Entre
ces deux extrêmes, la réflexion devrait identifier de possibles
scénarios futurs, parce qu’il n’y a pas une seule issue. Cela donnerait
lieu à divers apports qui pourraient entrer dans un dialogue en vue de
réponses intégrales.
61. Sur beaucoup de questions concrètes, en principe, l’Église n’a
pas de raison de proposer une parole définitive et elle comprend qu’elle
doit écouter puis promouvoir le débat honnête entre scientifiques, en
respectant la diversité d’opinions. Mais il suffit de regarder la
réalité avec sincérité pour constater qu’il y a une grande détérioration
de notre maison commune. L’espérance nous invite à reconnaître qu’il y a
toujours une voie de sortie, que nous pouvons toujours repréciser le
cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les
problèmes. Cependant, des symptômes d’un point de rupture semblent
s’observer, à cause de la rapidité des changements et de la dégradation,
qui se manifestent tant dans des catastrophes naturelles régionales que
dans des crises sociales ou même financières, étant donné que les
problèmes du monde ne peuvent pas être analysés ni s’expliquer de façon
isolée. Certaines régions sont déjà particulièrement en danger et,
indépendamment de toute prévision catastrophiste, il est certain que
l’actuel système mondial est insoutenable de divers points de vue, parce
que nous avons cessé de penser aux fins de l’action humaine : « Si le
regard parcourt les régions de notre planète, il s’aperçoit
immédiatement que l’humanité a déçu l’attente divine ».[35]
DEUXIEME CHAPITRE
L’EVANGILE DE LA CREATION
62. Pourquoi inclure dans ce texte, adressé à toutes les personnes de
bonne volonté, un chapitre qui fait référence à des convictions de foi ?
Je n’ignore pas que, dans les domaines de la politique et de la pensée,
certains rejettent avec force l’idée d’un Créateur, ou bien la
considèrent comme sans importance au point de reléguer dans le domaine
de l’irrationnel la richesse que les religions peuvent offrir pour une
écologie intégrale et pour un développement plénier de l’humanité.
D’autres fois on considère qu’elles sont une sous-culture qui doit
seulement être tolérée. Cependant, la science et la religion, qui
proposent des approches différentes de la réalité, peuvent entrer dans
un dialogue intense et fécond pour toutes deux.
I. LA LUMIÈRE QU’OFFRE LA FOI
63. Si nous prenons en compte la complexité de la crise écologique et
ses multiples causes, nous devrons reconnaître que les solutions ne
peuvent pas venir d’une manière unique d’interpréter et de transformer
la réalité. Il est nécessaire d’avoir aussi recours aux diverses
richesses culturelles des peuples, à l’art et à la poésie, à la vie
intérieure et à la spiritualité. Si nous cherchons vraiment à construire
une écologie qui nous permette de restaurer tout ce que nous avons
détruit, alors aucune branche des sciences et aucune forme de sagesse ne
peut être laissée de côté, la sagesse religieuse non plus, avec son
langage propre. De plus, l’Église catholique est ouverte au dialogue
avec la pensée philosophique, et cela lui permet de produire diverses
synthèses entre foi et raison. En ce qui concerne les questions
sociales, cela peut se constater dans le développement de la doctrine
sociale de l’Église, qui est appelée à s’enrichir toujours davantage à
partir des nouveaux défis.
64. Par ailleurs, même si cette Encyclique s’ouvre au dialogue avec
tous pour chercher ensemble des chemins de libération, je veux montrer
dès le départ comment les convictions de la foi offrent aux chrétiens,
et aussi à d’autres croyants, de grandes motivations pour la protection
de la nature et des frères et sœurs les plus fragiles. Si le seul fait
d’être humain pousse les personnes à prendre soin de l’environnement
dont elles font partie, « les chrétiens, notamment, savent que leurs
devoirs à l’intérieur de la création et leurs devoirs à l’égard de la
nature et du Créateur font partie intégrante de leur foi ».[36]
Donc, c’est un bien pour l’humanité et pour le monde que nous, les
croyants, nous reconnaissions mieux les engagements écologiques qui
jaillissent de nos convictions.
II. LA SAGESSE DES RÉCITS BIBLIQUES
65. Sans répéter ici l’entière théologie de la création, nous nous
demandons ce que disent les grands récits bibliques sur la création et
sur la relation entre l’être humain et le monde. Dans le premier récit
de l’œuvre de la création, dans le livre de la Genèse, le plan de Dieu
inclut la création de l’humanité. Après la création de l’être humain, il
est dit que « Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon »
(Gn 1, 31). La Bible enseigne que chaque être humain est créé par amour, à l’image et à la ressemblance de Dieu (cf. Gn 1,
26). Cette affirmation nous montre la très grande dignité de toute
personne humaine, qui « n’est pas seulement quelque chose, mais
quelqu’un. Elle est capable de se connaître, de se posséder, et de
librement se donner et entrer en communion avec d’autres personnes ».[37]
Saint Jean-Paul II a rappelé que l’amour très particulier que le
Créateur a pour chaque être humain lui confère une dignité infinie.[38]
Ceux qui s’engagent dans la défense de la dignité des personnes peuvent
trouver dans la foi chrétienne les arguments les plus profonds pour cet
engagement. Quelle merveilleuse certitude de savoir que la vie de toute
personne ne se perd pas dans un chaos désespérant, dans un monde
gouverné par le pur hasard ou par des cycles qui se répètent de manière
absurde ! Le Créateur peut dire à chacun de nous : « Avant même de te
former au ventre maternel, je t’ai connu » (Jr 1, 5). Nous avons
été conçus dans le cœur de Dieu, et donc, « chacun de nous est le fruit
d’une pensée de Dieu. Chacun de nous est voulu, chacun est aimé, chacun
est nécessaire ».[39]
66. Les récits de la création dans le livre de la Genèse contiennent,
dans leur langage symbolique et narratif, de profonds enseignements sur
l’existence humaine et sur sa réalité historique. Ces récits suggèrent
que l’existence humaine repose sur trois relations fondamentales
intimement liées : la relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la
terre. Selon la Bible, les trois relations vitales ont été rompues, non
seulement à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de nous. Cette rupture
est le péché. L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et l’ensemble de
la création a été détruite par le fait d’avoir prétendu prendre la
place de Dieu, en refusant de nous reconnaître comme des créatures
limitées. Ce fait a dénaturé aussi la mission de « soumettre » la terre
(cf. Gn 1, 28), de « la cultiver et la garder» (Gn 2, 15). Comme résultat, la relation, harmonieuse à l’origine entre l’être humain et la nature, est devenue conflictuelle (cf. Gn 3,
17-19). Pour cette raison, il est significatif que l’harmonie que
vivait saint François d’Assise avec toutes les créatures ait été
interprétée comme une guérison de cette rupture. Saint Bonaventure
disait que par la réconciliation universelle avec toutes les créatures,
d’une certaine manière, François retournait à l’état d’innocence.[40]
Loin de ce modèle, le péché aujourd’hui se manifeste, avec toute sa
force de destruction, dans les guerres, sous diverses formes de violence
et de maltraitance, dans l’abandon des plus fragiles, dans les
agressions contre la nature.
67. Nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et nous a été
donnée. Cela permet de répondre à une accusation lancée contre la pensée
judéo-chrétienne : il a été dit que, à partir du récit de la Genèse qui
invite à “dominer” la terre (cf. Gn 1, 28), on favoriserait
l’exploitation sauvage de la nature en présentant une image de l’être
humain comme dominateur et destructeur. Ce n’est pas une interprétation
correcte de la Bible, comme la comprend l’Église. S’il est vrai que,
parfois, nous les chrétiens avons mal interprété les Écritures, nous
devons rejeter aujourd’hui avec force que, du fait d’avoir été créés à
l’image de Dieu et de la mission de dominer la terre, découle pour nous
une domination absolue sur les autres créatures. Il est important de
lire les textes bibliques dans leur contexte, avec une herméneutique
adéquate, et de se souvenir qu’ils nous invitent à “cultiver et garder”
le jardin du monde (cf. Gn 2, 15). Alors que “cultiver” signifie
labourer, défricher ou travailler, “garder” signifie protéger,
sauvegarder, préserver, soigner, surveiller. Cela implique une relation
de réciprocité responsable entre l’être humain et la nature. Chaque
communauté peut prélever de la bonté de la terre ce qui lui est
nécessaire pour survivre, mais elle a aussi le devoir de la sauvegarder
et de garantir la continuité de sa fertilité pour les générations
futures ; car, en définitive, « au Seigneur la terre » (Ps 24, 1), à lui appartiennent « la terre et tout ce qui s’y trouve » (Dt 10,
14). Pour cette raison, Dieu dénie toute prétention de propriété
absolue : « La terre ne sera pas vendue avec perte de tout droit, car la
terre m’appartient, et vous n’êtes pour moi que des étrangers et des
hôtes » (Lv 25, 23).
68. Cette responsabilité vis-à-vis d’une terre qui est à Dieu
implique que l’être humain, doué d’intelligence, respecte les lois de la
nature et les délicats équilibres entre les êtres de ce monde, parce
que « lui commanda, eux furent créés, il les posa pour toujours et à
jamais sous une loi qui jamais ne passera » (Ps 148, 5b-6). C’est
pourquoi la législation biblique s’attarde à proposer à l’être humain
diverses normes, non seulement en relation avec ses semblables, mais
aussi en relation avec les autres êtres vivants : « Si tu vois tomber en
chemin l’âne ou le bœuf de ton frère, tu ne te déroberas pas [...] Si
tu rencontres en chemin un nid avec des oisillons ou des œufs, sur un
arbre ou par terre, et que la mère soit posée sur les oisillons ou les
œufs, tu ne prendras pas la mère sur les petits » (Dt 22, 4.6).
Dans cette perspective, le repos du septième jour n’est pas proposé
seulement à l’être humain, mais aussi « afin que se reposent ton âne et
ton bœuf » (Ex 23, 12). Nous nous apercevons ainsi que la Bible
ne donne pas lieu à un anthropocentrisme despotique qui se
désintéresserait des autres créatures.
69. En même temps que nous pouvons faire un usage responsable des
choses, nous sommes appelés à reconnaître que les autres êtres vivants
ont une valeur propre devant Dieu et, « par leur simple existence ils le
bénissent et lui rendent gloire »[41], puisque « le Seigneur se réjouit en ses œuvres » (Ps 104,
31). Précisément en raison de sa dignité unique et par le fait d’être
doué d’intelligence, l’être humain est appelé à respecter la création
avec ses lois internes, car « le Seigneur, par la sagesse, a fondé la
terre » (Pr 3, 19). Aujourd'hui l’Église ne dit pas seulement que
les autres créatures sont complètement subordonnées au bien de l’homme,
comme si elles n’avaient aucune valeur en elles-mêmes et que nous
pouvions en disposer à volonté. Pour cette raison, les Évêques
d’Allemagne ont enseigné au sujet des autres créatures qu’« on pourrait
parler de la priorité de l’être sur le fait d’être utile »[42].
Le Catéchisme remet en cause, de manière très directe et insistante, ce
qui serait un anthropocentrisme déviant : « Chaque créature possède sa
bonté et sa perfection propres [...] Les différentes créatures, voulues
en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la
sagesse et de la bonté infinies de Dieu. C’est pour cela que l’homme
doit respecter la bonté propre de chaque créature pour éviter un usage
désordonné des choses ».[43]
70. Dans le récit concernant Caïn et Abel, nous voyons que la
jalousie a conduit Caïn à commettre l’injustice extrême contre son
frère. Ce qui a provoqué à son tour une rupture de la relation entre
Caïn et Dieu, et entre Caïn et la terre dont il a été exilé. Ce passage
est résumé dans la conversation dramatique entre Dieu et Caïn. Dieu
demande : « Où est ton frère Abel ? ». Caïn répond qu’il ne sait pas et
Dieu insiste : « Qu’as-tu fait ? Écoute le sang de ton frère crier vers
moi du sol ! Maintenant, sois maudit et chassé du sol fertile » (Gn 4,
9-11). La négligence dans la charge de cultiver et de garder une
relation adéquate avec le voisin, envers lequel j’ai le devoir
d’attention et de protection, détruit ma relation intérieure avec
moi-même, avec les autres, avec Dieu et avec la terre. Quand toutes ces
relations sont négligées, quand la justice n’habite plus la terre, la
Bible nous dit que toute la vie est en danger. C’est ce que nous
enseigne le récit sur Noé, quand Dieu menace d’exterminer l’humanité en
raison de son incapacité constante à vivre à la hauteur des exigences de
justice et de paix : « La fin de toute chair est arrivée, je l’ai
décidé, car la terre est pleine de violence à cause des hommes » (Gn 6,
13). Dans ces récits si anciens, emprunts de profond symbolisme, une
conviction actuelle était déjà présente : tout est lié, et la protection
authentique de notre propre vie comme de nos relations avec la nature
est inséparable de la fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité
aux autres.
71. Même si « la méchanceté de l’homme était grande sur la terre » (Gn 6, 5) et que Dieu « se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre » (Gn 6,
6), il a cependant décidé d’ouvrir un chemin de salut à travers Noé qui
était resté intègre et juste. Ainsi, il a donné à l’humanité la
possibilité d’un nouveau commencement. Il suffit d’un être humain bon
pour qu’il y ait de l’espérance ! La tradition biblique établit
clairement que cette réhabilitation implique la redécouverte et le
respect des rythmes inscrits dans la nature par la main du Créateur.
Cela se voit, par exemple, dans la loi sur le Sabbat. Le septième jour, Dieu se reposa de toutes ses œuvres. Il ordonna à Israël que chaque septième jour soit un jour de repos, un Sabbat (cf. Gn 2, 2-3 ; Ex 16, 23 ; 20, 10). Par ailleurs, une année sabbatique fut également instituée pour Israël et sa terre, tous les sept ans (cf. Lv 25,
1-4), pendant laquelle un repos complet était accordé à la terre ; on
ne semait pas, on moissonnait seulement ce qui était indispensable pour
subsister et offrir l’hospitalité (cf. Lv 25, 4-6). Enfin,
passées sept semaines d’années, c’est-à-dire quarante-neuf ans, le
Jubilé était célébré, année de pardon universel et d’« affranchissement
de tous les habitants » (Lv 25, 10). Le développement de cette
législation a cherché à assurer l’équilibre et l’équité dans les
relations de l’être humain avec ses semblables et avec la terre où il
vivait et travaillait. Mais en même temps c’était une reconnaissance que
le don de la terre, avec ses fruits, appartient à tout le peuple. Ceux
qui cultivaient et gardaient le territoire devaient en partager les
fruits, spécialement avec les pauvres, les veuves, les orphelins et les
étrangers : « Lorsque vous récolterez la moisson de votre pays, vous ne
moissonnerez pas jusqu’à l’extrême bout du champ. Tu ne glaneras pas ta
moisson, tu ne grappilleras pas ta vigne et tu ne ramasseras pas les
fruits tombés dans ton verger. Tu les abandonneras au pauvre et à
l’étranger » (Lv 19, 9-10).
72. Les Psaumes invitent souvent l’être humain à louer le Dieu
créateur : « qui affermit la terre sur les eaux, car éternel est son
amour ! » (Ps 136, 6). Mais ils invitent aussi les autres
créatures à le louer : « Louez-le Soleil et Lune, louez-le, tous les
astres de lumière ; louez-le, cieux des cieux, et les eaux par-dessus
les cieux ! Qu’ils louent le nom du Seigneur : lui commanda et ils
furent créés » (Ps 148, 3-5). Nous existons non seulement par le
pouvoir de Dieu, mais aussi face à lui et près de lui. C’est pourquoi
nous l’adorons.
73. Les écrits des prophètes invitent à retrouver la force dans les
moments difficiles en contemplant le Dieu tout-puissant qui a créé
l’univers. Le pouvoir infini de Dieu ne nous porte pas à fuir sa
tendresse paternelle, parce qu’en lui affection et vigueur se
conjuguent. De fait, toute saine spiritualité implique en même temps
d’accueillir l’amour de Dieu, et d’adorer avec confiance le Seigneur
pour sa puissance infinie. Dans la Bible, le Dieu qui libère et sauve
est le même qui a créé l’univers, et ces deux modes divins d’agir sont
intimement et inséparablement liés : « Ah Seigneur, voici que tu as fait
le ciel et la terre par ta grande puissance et ton bras étendu. À toi,
rien n’est impossible ! [...] Tu fis sortir ton peuple Israël du pays
d’Égypte par signes et prodiges » (Jr 32, 17.21). « Le Seigneur
est un Dieu éternel, créateur des extrémités de la terre. Il ne se
fatigue ni ne se lasse, insondable est son intelligence. Il donne la
force à celui qui est fatigué, à celui qui est sans vigueur il prodigue
le réconfort » (Is 40, 28b-29).
74. L’expérience de la captivité à Babylone a engendré une crise
spirituelle qui a favorisé un approfondissement de la foi en Dieu,
explicitant sa toute-puissance créatrice, pour exhorter le peuple à
retrouver l’espérance dans sa situation malheureuse. Des siècles plus
tard, en un autre moment d’épreuves et de persécution, quand l’Empire
romain cherchait à imposer une domination absolue, les fidèles
retrouvaient consolation et espérance en grandissant dans la confiance
au Dieu tout-puissant, et ils chantaient : « Grandes et merveilleuses
sont tes œuvres, Seigneur, Dieu Maître-de-tout ; justes et droites sont
tes voies, ô Roi des nations » (Ap 15, 3). S’il a pu créer
l’univers à partir de rien, il peut aussi intervenir dans ce monde et
vaincre toute forme de mal. Par conséquent l’injustice n’est pas
invincible.
75. Nous ne pouvons pas avoir une spiritualité qui oublie le Dieu
tout-puissant et créateur. Autrement, nous finirions par adorer d’autres
pouvoirs du monde, ou bien nous nous prendrions la place du Seigneur au
point de prétendre piétiner la réalité créée par lui, sans connaître de
limite. La meilleure manière de mettre l’être humain à sa place, et de
mettre fin à ses prétentions d’être un dominateur absolu de la terre,
c’est de proposer la figure d’un Père créateur et unique maître du
monde, parce qu’autrement l’être humain aura toujours tendance à vouloir
imposer à la réalité ses propres lois et intérêts.
III. LE MYSTÈRE DE L’UNIVERS
76. Pour la tradition judéo-chrétienne, dire “création”, c’est
signifier plus que “nature”, parce qu’il y a un rapport avec un projet
de l’amour de Dieu dans lequel chaque créature a une valeur et une
signification. La nature s’entend d’habitude comme un système qui
s’analyse, se comprend et se gère, mais la création peut seulement être
comprise comme un don qui surgit de la main ouverte du Père de tous,
comme une réalité illuminée par l’amour qui nous appelle à une communion
universelle.
77. « Par la parole du Seigneur les cieux ont été faits » (Ps 33,
6). Il nous est ainsi indiqué que le monde est issu d’une décision, non
du chaos ou du hasard, ce qui le rehausse encore plus. Dans la parole
créatrice il y a un choix libre exprimé. L’univers n’a pas surgi comme
le résultat d’une toute puissance arbitraire, d’une démonstration de
force ni d’un désir d’auto-affirmation. La création est de l’ordre de
l’amour. L’amour de Dieu est la raison fondamentale de toute la création
: « Tu aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de dégout pour rien
de ce que tu as fait ; car si tu avais haï quelque chose, tu ne l’aurais
pas formé » (Sg 11, 24). Par conséquent, chaque créature est
l’objet de la tendresse du Père, qui lui donne une place dans le monde.
Même la vie éphémère de l’être le plus insignifiant est l’objet de son
amour, et, en ces peu de secondes de son existence, il l’entoure de son
affection. Saint Basile le Grand disait que le Créateur est aussi « la
bonté sans mesure »,[44] et Dante Alighieri parlait de l’« amour qui meut le soleil et les étoiles ».[45] Voilà pourquoi à partir des œuvres créées, on s’élève « vers sa miséricorde pleine d’amour ».[46]
78. En même temps, la pensée judéo-chrétienne a démystifié la nature.
Sans cesser de l’admirer pour sa splendeur et son immensité, elle ne
lui a plus attribué de caractère divin. De cette manière, notre
engagement envers elle est davantage mis en exergue. Un retour à la
nature ne peut se faire au prix de la liberté et de la responsabilité de
l’être humain, qui fait partie du monde avec le devoir de cultiver ses
propres capacités pour le protéger et en développer les potentialités.
Si nous reconnaissons la valeur et la fragilité de la nature, et en même
temps les capacités que le Créateur nous a octroyées, cela nous permet
d’en finir aujourd’hui avec le mythe moderne du progrès matériel sans
limite. Un monde fragile, avec un être humain à qui Dieu en confie le
soin, interpelle notre intelligence pour reconnaître comment nous
devrions orienter, cultiver et limiter notre pouvoir.
79. Dans cet univers, constitué de systèmes ouverts qui entrent en
communication les uns avec les autres, nous pouvons découvrir
d’innombrables formes de relations et de participations. Cela conduit à
penser également à l’ensemble comme étant ouvert à la transcendance de
Dieu, dans laquelle il se développe. La foi nous permet d’interpréter le
sens et la beauté mystérieuse de ce qui arrive. La liberté humaine peut
offrir son apport intelligent à une évolution positive, mais elle peut
aussi être à l’origine de nouveaux maux, de nouvelles causes de
souffrance et de vrais reculs. Cela donne lieu à la passionnante et
dramatique histoire humaine, capable de se convertir en un déploiement
de libération, de croissance, de salut et d’amour, ou en un chemin de
décadence et de destruction mutuelle. Voilà pourquoi l’action de
l’Église ne tente pas seulement de rappeler le devoir de prendre soin de
la nature, mais en même temps « elle doit aussi surtout protéger
l’homme de sa propre destruction ».[47]
80. Cependant Dieu, qui veut agir avec nous et compte sur notre
coopération, est aussi capable de tirer quelque chose de bon du mal que
nous commettons, parce que « l’Esprit Saint possède une imagination
infinie, propre à l’Esprit divin, qui sait prévoir et résoudre les
problèmes des affaires humaines, même les plus complexes et les plus
impénétrables ».[48]
Il a voulu se limiter lui-même de quelque manière, en créant un monde
qui a besoin de développement, où beaucoup de choses que nous
considérons mauvaises, dangereuses ou sources de souffrances, font en
réalité partie des douleurs de l’enfantement qui nous stimulent à
collaborer avec le Créateur.[49]
Il est présent au plus intime de toute chose, sans conditionner
l’autonomie de sa créature, et cela aussi donne lieu à l’autonomie
légitime des réalités terrestres.[50]
Cette présence divine, qui assure la permanence et le développement de
tout être, « est la continuation de l’action créatrice ».[51]
L’Esprit de Dieu a rempli l’univers de potentialités qui permettent
que, du sein même des choses, quelque chose de nouveau peut surgir : «
La nature n’est rien d’autre que la connaissance d’un certain art,
concrètement l’art divin inscrit dans les choses, et par lequel les
choses elles-mêmes se meuvent vers une fin déterminée. Comme si
l’artisan constructeur de navires pouvait accorder au bois de pouvoir se
modifier de lui-même pour prendre la forme de navire ».[52]
81. Bien que l’être humain suppose aussi des processus évolutifs, il
implique une nouveauté qui n’est pas complètement explicable par
l’évolution d’autres systèmes ouverts. Chacun de nous a, en soi, une
identité personnelle, capable d’entrer en dialogue avec les autres et
avec Dieu lui-même. La capacité de réflexion, l’argumentation, la
créativité, l’interprétation, l’élaboration artistique, et d’autres
capacités inédites, montrent une singularité qui transcende le domaine
physique et biologique. La nouveauté qualitative qui implique le
surgissement d’un être personnel dans l’univers matériel suppose une
action directe de Dieu, un appel particulier à la vie et à la relation
d’un Tu avec un autre tu. À partir des récits bibliques, nous
considérons l’être humain comme un sujet, qui ne peut jamais être réduit
à la catégorie d’objet.
82. Mais il serait aussi erroné de penser que les autres êtres
vivants doivent être considérés comme de purs objets, soumis à la
domination humaine arbitraire. Quand on propose une vision de la nature
uniquement comme objet de profit et d’intérêt, cela a aussi de sérieuses
conséquences sur la société. La vision qui consolide l’arbitraire du
plus fort a favorisé d’immenses inégalités, injustices et violences pour
la plus grande partie de l’humanité, parce que les ressources finissent
par appartenir au premier qui arrive ou qui a plus de pouvoir : le
gagnant emporte tout. L’idéal d’harmonie, de justice, de fraternité et
de paix que propose Jésus est aux antipodes d’un pareil modèle, et il
l’exprimait ainsi avec respect aux pouvoirs de son époque : « Les chefs
des nations dominent sur elles en maîtres, et les grands leur font
sentir leur pouvoir. Il n’en doit pas être ainsi parmi vous : au
contraire, celui qui voudra devenir grand parmi vous sera votre
serviteur» (Mt 20, 25-26).
83. L’aboutissement de la marche de l’univers se trouve dans la
plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le Christ ressuscité, axe de
la maturation universelle.[53]
Nous ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter toute domination
despotique et irresponsable de l’être humain sur les autres créatures.
La fin ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais elles
avancent toutes, avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est
Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse
et illumine tout ; car l’être humain, doué d’intelligence et d’amour,
attiré par la plénitude du Christ, est appelé à reconduire toutes les
créatures à leur Créateur.
IV. LE MESSAGE DE CHAQUE CRÉATURE DANS L’HARMONIE DE TOUTE LA CRÉATION
84. Quand nous insistons pour dire que l’être humain est image de
Dieu, cela ne doit pas nous porter à oublier que chaque créature a une
fonction et qu’aucune n’est superflue. Tout l’univers matériel est un
langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée envers nous. Le
sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu. L’histoire de
l’amitié de chacun avec Dieu se déroule toujours dans un espace
géographique qui se transforme en un signe éminemment personnel, et
chacun de nous a en mémoire des lieux dont le souvenir lui fait beaucoup
de bien. Celui qui a grandi dans les montagnes, ou qui, enfant,
s’asseyait pour boire l’eau au ruisseau, ou qui jouait sur une place de
son quartier, quand il retourne sur ces lieux se sent appelé à retrouver
sa propre identité.
85. Dieu a écrit un beau livre « dont les lettres sont représentées par la multitude des créatures présentes dans l’univers ».[54]
Les Évêques du Canada ont souligné à juste titre qu’aucune créature ne
reste en dehors de cette manifestation de Dieu : « Des vues panoramiques
les plus larges à la forme de vie la plus infime, la nature est une
source constante d’émerveillement et de crainte. Elle est, en outre, une
révélation continue du divin ».[55]
Les Évêques du Japon, pour leur part, ont rappelé une chose très
suggestive : « Entendre chaque créature chanter l’hymne de son
existence, c’est vivre joyeusement dans l’amour de Dieu et dans
l’espérance ».[56]
Cette contemplation de la création nous permet de découvrir à travers
chaque chose un enseignement que Dieu veut nous transmettre, parce que «
pour le croyant contempler la création c’est aussi écouter un message,
entendre une voix paradoxale et silencieuse ».[57]
Nous pouvons affirmer qu’« à côté de la révélation proprement dite, qui
est contenue dans les Saintes Écritures, il y a donc une manifestation
divine dans le soleil qui resplendit comme dans la nuit qui tombe ».[58]
En faisant attention à cette manifestation, l’être humain apprend à se
reconnaître lui-même dans la relation avec les autres créatures : « Je
m’exprime en exprimant le monde ; j’explore ma propre sacralité en
déchiffrant celle du monde ».[59]
86. L’ensemble de l’univers, avec ses relations multiples, révèle
mieux l’inépuisable richesse de Dieu. Saint Thomas d’Aquin faisait
remarquer avec sagesse que la multiplicité et la variété proviennent «
de l’intention du premier agent », qui a voulu que « ce qui manque à
chaque chose pour représenter la bonté divine soit suppléé par les
autres »,[60] parce qu’« une seule créature ne saurait suffire à [...] représenter comme il convient »[61] sa bonté. C’est pourquoi nous avons besoin de saisir la variété des choses dans leurs relations multiples.[62]
Par conséquent, on comprend mieux l’importance et le sens de n’importe
quelle créature si on la contemple dans l’ensemble du projet de Dieu. Le
Catéchisme l’enseigne ainsi : « L’interdépendance des créatures est
voulue par Dieu. Le soleil et la lune, le cèdre et la petite fleur,
l’aigle et le moineau : le spectacle de leurs innombrables diversités et
inégalités signifie qu’aucune des créatures ne se suffit à elle-même.
Elles n’existent qu’en dépendance les unes des autres, pour se compléter
mutuellement, au service les unes des autres ».[63]
87. Quand nous prenons conscience du reflet de Dieu qui se trouve
dans tout ce qui existe, le cœur expérimente le désir d’adorer le
Seigneur pour toutes ses créatures, et avec elles, comme cela est
exprimé dans la belle hymne de saint François d’Assise :
« Loué sois-tu, mon Seigneur, avec toutes tes créatures, spécialement messire frère soleil, qui est le jour, et par lui tu nous illumines. Et il est beau et rayonnant avec grande splendeur, de toi, Très Haut, il porte le signe. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur lune et les étoiles, dans le ciel tu les as formées claires, précieuses et belles. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent, et pour l’air et le nuage et le ciel serein et tous les temps, par lesquels à tes créatures tu donnes soutien. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur eau, qui est très utile et humble, et précieuse et chaste. Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu, par lequel tu illumines la nuit, et il est beau et joyeux, et robuste et fort ».[64]
88. Les Évêques du Brésil ont souligné que toute la nature, en plus
de manifester Dieu, est un lieu de sa présence. En toute créature habite
son Esprit vivifiant qui nous appelle à une relation avec lui.[65] La découverte de cette présence stimule en nous le développement des « vertus écologiques ».[66]
Mais en disant cela, n’oublions pas qu’il y a aussi une distance
infinie entre la nature et le Créateur, et que les choses de ce monde ne
possèdent pas la plénitude de Dieu. Autrement, nous ne ferions pas de
bien aux créatures, parce que nous ne reconnaîtrions pas leur vraie et
propre place, et nous finirions par exiger d’elles indûment ce que, en
leur petitesse, elles ne peuvent pas nous donner.
V. UNE COMMUNION UNIVERSELLE
89. Les créatures de ce monde ne peuvent pas être considérées comme
un bien sans propriétaire : « Tout est à toi, Maître, ami de la vie » (Sg 11,
26). D’où la conviction que, créés par le même Père, nous et tous les
êtres de l’univers, sommes unis par des liens invisibles, et formons une
sorte de famille universelle, une communion sublime qui nous pousse à
un respect sacré, tendre et humble. Je veux rappeler que « Dieu nous a
unis si étroitement au monde qui nous entoure, que la désertification du
sol est comme une maladie pour chacun et nous pouvons nous lamenter sur
l’extinction d’une espèce comme si elle était une mutilation ».[67]
90. Cela ne signifie pas que tous les êtres vivants sont égaux ni ne
retire à l’être humain sa valeur particulière, qui entraîne en même
temps une terrible responsabilité. Cela ne suppose pas non plus une
divinisation de la terre qui nous priverait de l’appel à collaborer avec
elle et à protéger sa fragilité. Ces conceptions finiraient par créer
de nouveaux déséquilibres pour échapper à la réalité qui nous
interpelle.[68]
Parfois on observe une obsession pour nier toute prééminence à la
personne humaine, et il se mène une lutte en faveur d’autres espèces que
nous n’engageons pas pour défendre l’égale dignité entre les êtres
humains. Il est vrai que nous devons nous préoccuper que d’autres êtres
vivants ne soient pas traités de manière irresponsable. Mais les énormes
inégalités qui existent entre nous devraient nous exaspérer
particulièrement, parce que nous continuons à tolérer que les uns se
considèrent plus dignes que les autres. Nous ne nous rendons plus compte
que certains croupissent dans une misère dégradante, sans réelle
possibilité d’en sortir, alors que d’autres ne savent même pas quoi
faire de ce qu’ils possèdent, font étalage avec vanité d’une soi-disant
supériorité, et laissent derrière eux un niveau de gaspillage qu’il
serait impossible de généraliser sans anéantir la planète. Nous
continuons à admettre en pratique que les uns se sentent plus humains
que les autres, comme s’ils étaient nés avec de plus grands droits.
91. Le sentiment d’union intime avec les autres êtres de la nature ne
peut pas être réel si en même temps il n’y a pas dans le cœur de la
tendresse, de la compassion et de la préoccupation pour les autres êtres
humains. L’incohérence est évidente de la part de celui qui lutte
contre le trafic d’animaux en voie d’extinction mais qui reste
complètement indifférent face à la traite des personnes, se désintéresse
des pauvres, ou s’emploie à détruire un autre être humain qui lui
déplaît. Ceci met en péril le sens de la lutte pour l’environnement. Ce
n’est pas un hasard si dans l’hymne à la création où saint François loue
Dieu pour ses créatures, il ajoute ceci : « Loué sois-tu, mon Seigneur,
pour ceux qui pardonnent par amour pour toi ». Tout est lié. Il faut
donc une préoccupation pour l’environnement unie à un amour sincère
envers les êtres humains, et à un engagement constant pour les problèmes
de la société.
92. D’autre part, quand le cœur est authentiquement ouvert à une
communion universelle, rien ni personne n’est exclu de cette fraternité.
Par conséquent, il est vrai aussi que l’indifférence ou la cruauté
envers les autres créatures de ce monde finissent toujours par
s’étendre, d’une manière ou d’une autre, au traitement que nous
réservons aux autres êtres humains. Le cœur est unique, et la même
misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à se
manifester dans la relation avec les autres personnes. Toute cruauté sur
une quelconque créature « est contraire à la dignité humaine».[69]
Nous ne pouvons pas considérer que nous aimons beaucoup si nous
excluons de nos intérêts une partie de la réalité : « Paix, justice et
sauvegarde de la création sont trois thèmes absolument liés, qui ne
pourront pas être mis à part pour être traités séparément sous peine de
tomber de nouveau dans le réductionnisme ».[70]
Tout est lié, et, comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des
frères et des sœurs dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés par
l’amour que Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous unit
aussi, avec une tendre affection, à frère soleil, à sœur lune, à sœur
rivière et à mère terre.
VI. LA DESTINATION COMMUNE DES BIENS
93. Aujourd’hui croyants et non croyants, nous sommes d’accord sur le
fait que la terre est essentiellement un héritage commun, dont les
fruits doivent bénéficier à tous. Pour les croyants cela devient une
question de fidélité au Créateur, puisque Dieu a créé le monde pour
tous. Par conséquent, toute approche écologique doit incorporer une
perspective sociale qui prenne en compte les droits fondamentaux des
plus défavorisés. Le principe de subordination de la propriété privée à
la destination universelle des biens et, par conséquent, le droit
universel à leur usage, est une “règle d’or” du comportement social, et «
le premier principe de tout l’ordre éthico-social ».[71]
La tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu ou intouchable
le droit à la propriété privée, et elle a souligné la fonction sociale
de toute forme de propriété privée. Saint Jean-Paul II a rappelé avec
beaucoup de force cette doctrine en affirmant que « Dieu a donné la
terre à tout le genre humain pour qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans exclure ni privilégier personne ».[72]
Ce sont des paroles denses et fortes. Il a souligné qu’« un type de
développement qui ne respecterait pas et n’encouragerait pas les droits
humains, personnels et sociaux, économiques et politiques, y compris les
droits des nations et des peuples, ne serait pas non plus digne de
l’homme ».[73]
Avec une grande clarté, il a expliqué que « l’Église défend, certes, le
droit à la propriété privée, mais elle enseigne avec non moins de
clarté que sur toute propriété pèse toujours une hypothèque sociale,
pour que les biens servent à la destination générale que Dieu leur a
donnée ».[74]
Par conséquent, il a rappelé qu’« il n’est [...] pas permis, parce que
cela n’est pas conforme au dessein de Dieu, de gérer ce don d’une
manière telle que tous ces bienfaits profitent seulement à quelques uns
».[75] Cela remet sérieusement en cause les habitudes injustes d’une partie de l’humanité.[76]
94. Le riche et le pauvre ont une égale dignité parce que « le Seigneur les a faits tous les deux » (Pr 22, 2), « petits et grands, c’est lui qui les a faits » (Sg 6, 7), et « il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons » (Mt 5,
45). Cela a des conséquences pratiques, comme celles qu’ont énoncées
les Évêques du Paraguay : « Tout paysan a le droit naturel de posséder
un lot de terre raisonnable, où il puisse établir sa demeure, travailler
pour la subsistance de sa famille et avoir la sécurité de l’existence.
Ce droit doit être garanti pour que son exercice ne soit pas illusoire
mais réel. Cela signifie que, en plus du titre de propriété, le paysan
doit compter sur les moyens d’éducation technique, sur des crédits, des
assurances et la commercialisation ».[77]
95. L’environnement est un bien collectif, patrimoine de toute
l’humanité, sous la responsabilité de tous. Celui qui s’approprie
quelque chose, c’est seulement pour l’administrer pour le bien de tous.
Si nous ne le faisons pas, nous chargeons notre conscience du poids de
nier l’existence des autres. Pour cette raison, les Évêques de Nouvelle
Zélande se sont demandés ce que le commandement « tu ne tueras pas »
signifie quand « vingt pour cent de la population mondiale consomment
les ressources de telle manière qu’ils volent aux nations pauvres, et
aux futures générations, ce dont elles ont besoin pour survivre ».[78]
VII. LE REGARD DE JÉSUS
96. Jésus reprend la foi biblique au Dieu créateur et met en relief un fait fondamental : Dieu est Père (cf. Mt 11,
25). Dans les dialogues avec ses disciples, Jésus les invitait à
reconnaître la relation paternelle que Dieu a avec toutes ses créatures,
et leur rappelait, avec une émouvante tendresse, comment chacune
d’elles est importante aux yeux de celui-ci : « Ne vend-on pas cinq
passereaux pour deux as ? Et pas un d’entre eux n’est en oubli devant
Dieu » (Lc 12, 6). « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment
ni ne moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et votre Père
céleste les nourrit» (Mt 6, 26).
97. Le Seigneur pouvait inviter les autres à être attentifs à la
beauté qu’il y a dans le monde, parce qu’il était lui-même en contact
permanent avec la nature et y prêtait une attention pleine d’affection
et de stupéfaction. Quand il parcourait chaque coin de sa terre, il
s’arrêtait pour contempler la beauté semée par son Père, et il invitait
ses disciples à reconnaître dans les choses un message divin : « Levez
les yeux et regardez les champs, ils sont blancs pour la moisson » (Jn 4,
35). « Le Royaume des Cieux est semblable à un grain de sénevé qu’un
homme a pris et semé dans son champ. C’est bien la plus petite de toutes
les graines, mais quand il a poussé, c’est la plus grande des plantes
potagères, qui devient même un arbre » (Mt 13, 31-32).
98. Jésus vivait en pleine harmonie avec la création, et les autres
s’en émerveillaient : « Quel est donc celui-ci pour que même la mer et
les vents lui obéissent ? » (Mt 8, 27). Il n’apparaissait pas
comme un ascète séparé du monde ou un ennemi des choses agréables de la
vie. Il disait, se référant à lui-même : « Vient le Fils de l’homme,
mangeant et buvant, et l’on dit : voilà un glouton et un ivrogne» (Mt 11,
19). Il était loin des philosophies qui dépréciaient le corps, la
matière et les choses de ce monde. Cependant, ces dualismes malsains en
sont arrivés à avoir une influence importante chez certains penseurs
chrétiens au long de l’histoire, et ont défiguré l’Évangile. Jésus
travaillait de ses mains, au contact direct quotidien avec la matière
créée par Dieu pour lui donner forme avec son habileté d’artisan. Il est
frappant que la plus grande partie de sa vie ait été consacrée à cette
tâche, dans une existence simple qui ne suscitait aucune admiration. «
N’est-il pas le charpentier, le fils de Marie ?» (Mc 6, 3). Il a
sanctifié de cette manière le travail et lui a conféré une valeur
particulière pour notre maturation. Saint Jean-Paul II enseignait qu’«
en supportant la peine du travail en union avec le Christ crucifié pour
nous, l’homme collabore en quelque manière avec le Fils de Dieu à la
Rédemption ».[79]
99. Pour la compréhension chrétienne de la réalité, le destin de
toute la création passe par le mystère du Christ, qui est présent depuis
l’origine de toutes choses : « Tout est créé par lui et pour lui » (Col 1, 16).[80] Le Prologue de l’Évangile de Jean (1, 1-18) montre l’activité créatrice du Christ comme Parole divine (Logos). Mais ce prologue surprend en affirmant que cette Parole « s’est faite chair » (Jn 1,
14). Une Personne de la Trinité s’est insérée dans le cosmos créé, en y
liant son sort jusqu’à la croix. Dès le commencement du monde, mais de
manière particulière depuis l’Incarnation, le mystère du Christ opère
secrètement dans l’ensemble de la réalité naturelle, sans pour autant en
affecter l’autonomie.
100. Le Nouveau Testament ne nous parle pas seulement de Jésus
terrestre et de sa relation si concrète et aimable avec le monde. Il le
montre aussi comme ressuscité et glorieux, présent dans toute la
création par sa Seigneurie universelle : « Dieu s’est plu à faire
habiter en lui toute plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres
pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix
par le sang de sa croix » (Col 1, 19-20). Cela nous projette à
la fin des temps, quand le Fils remettra toutes choses au Père et que «
Dieu sera tout en tous » (1Co 15, 28). De cette manière, les
créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité
purement naturelle, parce que le Ressuscité les enveloppe
mystérieusement et les oriente vers un destin de plénitude. Même les
fleurs des champs et les oiseaux qu’émerveillé il a contemplés de ses
yeux humains, sont maintenant remplis de sa présence lumineuse.
TROISIEME CHAPITRE
LA RACINE HUMAINE DE LA CRISE ECOLOGIQUE
101. Il ne sert à rien de décrire les symptômes de la crise
écologique, si nous n’en reconnaissons pas la racine humaine. Il y a une
manière de comprendre la vie et l’activité humaine qui a dévié et qui
contredit la réalité jusqu’à lui nuire. Pourquoi ne pouvons-nous pas
nous arrêter pour y penser ? Dans cette réflexion, je propose que nous
nous concentrions sur le paradigme technocratique dominant ainsi que sur
la place de l’être humain et de son action dans le monde.
I. LA TECHNOLOGIE : CRÉATIVITÉ ET POUVOIR
102. L’humanité est entrée dans une ère nouvelle où le pouvoir
technologique nous met à la croisée des chemins. Nous sommes les
héritiers de deux siècles d’énormes vagues de changement : la machine à
vapeur, le chemin de fer, le télégraphe, l’électricité, l’automobile,
l’avion, les industries chimiques, la médecine moderne, l’informatique,
et, plus récemment, la révolution digitale, la robotique, les
biotechnologies et les nanotechnologies. Il est juste de se réjouir face
à ces progrès, et de s’enthousiasmer devant les grandes possibilités
que nous ouvrent ces constantes nouveautés, parce que « la science et la
technologie sont un produit merveilleux de la créativité humaine, ce
don de Dieu ».[81]
La modification de la nature à des fins utiles est une caractéristique
de l’humanité depuis ses débuts, et ainsi la technique « exprime la
tendance de l’esprit humain au dépassement progressif de certains
conditionnements matériels ».[82]
La technologie a porté remède à d’innombrables maux qui nuisaient à
l’être humain et le limitaient. Nous ne pouvons pas ne pas valoriser ni
apprécier le progrès technique, surtout dans la médecine, l’ingénierie
et les communications. Et comment ne pas reconnaître tous les efforts de
beaucoup de scientifiques et de techniciens qui ont apporté des
alternatives pour un développement durable ?
103. La techno-science, bien orientée, non seulement peut produire
des choses réellement précieuses pour améliorer la qualité de vie de
l’être humain, depuis les objets usuels pour la maison jusqu’aux grands
moyens de transports, ponts, édifices, lieux publics, mais encore est
capable de produire du beau et de “projeter” dans le domaine de la
beauté l’être humain immergé dans le monde matériel. Peut-on nier la
beauté d’un avion, ou de certains gratte-ciels ? Il y a de belles œuvres
picturales et musicales réalisées grâce à l’utilisation de nouveaux
instruments techniques. Ainsi, dans la recherche de la beauté de la part
de celui qui produit la technique, et en celui qui contemple cette
beauté, se réalise un saut vers une certaine plénitude proprement
humaine.
104. Mais nous ne pouvons pas ignorer que l’énergie nucléaire, la
biotechnologie, l’informatique, la connaissance de notre propre ADN et
d’autres capacités que nous avons acquises, nous donnent un terrible
pouvoir. Mieux, elles donnent à ceux qui ont la connaissance, et surtout
le pouvoir économique d’en faire usage, une emprise impressionnante sur
l’ensemble de l’humanité et sur le monde entier. Jamais l’humanité n’a
eu autant de pouvoir sur elle-même et rien ne garantit qu’elle s’en
servira toujours bien, surtout si l’on considère la manière dont elle
est en train de l’utiliser. Il suffit de se souvenir des bombes
atomiques lancées en plein XXème siècle, comme du grand
déploiement technologique étalé par le nazisme, par le communisme et par
d’autres régimes totalitaires au service de l’extermination de millions
de personnes, sans oublier, qu’aujourd’hui, la guerre possède des
instruments toujours plus mortifères. En quelles mains se trouve et
pourrait se trouver tant de pouvoir ? Il est terriblement risqué qu’il
réside en une petite partie de l’humanité.
105. On a tendance à croire « que tout accroissement de puissance est
en soi ‘progrès’, un degré plus haut de sécurité, d’utilité, de
bien-être, de force vitale, de plénitude des valeurs »,[83]
comme si la réalité, le bien et la vérité surgissaient spontanément du
pouvoir technologique et économique lui-même. Le fait est que « l’homme
moderne n’a pas reçu l’éducation nécessaire pour faire un bon usage de
son pouvoir »,[84]
parce que l’immense progrès technologique n’a pas été accompagné d’un
développement de l’être humain en responsabilité, en valeurs, en
conscience. Chaque époque tend à développer peu d’auto-conscience de ses
propres limites. C’est pourquoi, il est possible qu’aujourd’hui
l’humanité ne se rende pas compte de la gravité des défis qui se
présentent, et « que la possibilité devienne sans cesse plus grande pour
l’homme de mal utiliser sa puissance » quand « existent non pas des
normes de liberté, mais de prétendues nécessités : l’utilité et la
sécurité ».[85]
L’être humain n’est pas pleinement autonome. Sa liberté est affectée
quand elle se livre aux forces aveugles de l’inconscient, des nécessités
immédiates, de l’égoïsme, de la violence. En ce sens, l’homme est nu,
exposé à son propre pouvoir toujours grandissant, sans avoir les
éléments pour le contrôler. Il peut disposer de mécanismes superficiels,
mais nous pouvons affirmer qu’il lui manque aujourd’hui une éthique
solide, une culture et une spiritualité qui le limitent réellement et le
contiennent dans une abnégation lucide.
II. LA GLOBALISATION DU PARADIGME TECHNOCRATIQUE
106. Le problème fondamental est autre, encore plus profond : la
manière dont l’humanité a, de fait, assumé la technologie et son
développement avec un paradigme homogène et unidimensionnel. Une
conception du sujet y est mise en relief qui, progressivement, dans le
processus logique et rationnel, embrasse et ainsi possède l’objet qui se
trouve à l’extérieur. Ce sujet se déploie dans l’élaboration de la
méthode scientifique avec son expérimentation, qui est déjà
explicitement une technique de possession, de domination et de
transformation. C’est comme si le sujet se trouvait devant quelque chose
d’informe, totalement disponible pour sa manipulation. L’intervention
humaine sur la nature s’est toujours vérifiée, mais longtemps elle a eu
comme caractéristique d’accompagner, de se plier aux possibilités
qu’offrent les choses elles-mêmes. Il s’agissait de recevoir ce que la
réalité naturelle permet de soi, comme en tendant la main. Maintenant,
en revanche, ce qui intéresse c’est d’extraire tout ce qui est possible
des choses par l’imposition de la main de l’être humain, qui tend à
ignorer ou à oublier la réalité même de ce qu’il a devant lui. Voilà
pourquoi l’être humain et les choses ont cessé de se tendre amicalement
la main pour entrer en opposition. De là, on en vient facilement à
l’idée d’une croissance infinie ou illimitée, qui a enthousiasmé
beaucoup d’économistes, de financiers et de technologues. Cela suppose
le mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète, qui
conduit à la “ presser ” jusqu’aux limites et même au-delà des limites.
C’est le faux présupposé « qu’il existe une quantité illimitée d’énergie
et de ressources à utiliser, que leur régénération est possible dans
l’immédiat et que les effets négatifs des manipulations de l’ordre
naturel peuvent être facilement absorbés ».[86]
107. On peut dire, par conséquent, qu’à l’origine de beaucoup de
difficultés du monde actuel, il y a avant tout la tendance, pas toujours
consciente, à faire de la méthodologie et des objectifs de la
techno-science un paradigme de compréhension qui conditionne la vie des
personnes et le fonctionnement de la société. Les effets de
l’application de ce moule à toute la réalité, humaine et sociale, se
constatent dans la dégradation de l’environnement, mais cela est
seulement un signe du réductionnisme qui affecte la vie humaine et la
société dans toutes leurs dimensions. Il faut reconnaître que les objets
produits par la technique ne sont pas neutres, parce qu’ils créent un
cadre qui finit par conditionner les styles de vie, et orientent les
possibilités sociales dans la ligne des intérêts de groupes de pouvoir
déterminés. Certains choix qui paraissent purement instrumentaux sont,
en réalité, des choix sur le type de vie sociale que l’on veut
développer.
108. Il n’est pas permis de penser qu’il est possible de défendre un
autre paradigme culturel, et de se servir de la technique comme d’un pur
instrument, parce qu’aujourd’hui le paradigme technocratique est devenu
tellement dominant qu’il est très difficile de faire abstraction de ses
ressources, et il est encore plus difficile de les utiliser sans être
dominé par leur logique. C’est devenu une contre-culture de choisir un
style de vie avec des objectifs qui peuvent être, au moins en partie,
indépendants de la technique, de ses coûts, comme de son pouvoir de
globalisation et de massification. De fait, la technique a un penchant
pour chercher à tout englober dans sa logique de fer, et l’homme qui
possède la technique « sait que, en dernière analyse, ce qui est en jeu
dans la technique, ce n’est ni l’utilité, ni le bien-être, mais la
domination : une domination au sens le plus extrême de ce terme ».[87] Et c’est pourquoi « il cherche à saisir les éléments de la nature comme ceux de l’existence humaine ».[88]
La capacité de décision, la liberté la plus authentique et l’espace
pour une créativité alternative des individus, sont réduits.
109. Le paradigme technocratique tend aussi à exercer son emprise sur
l’économie et la politique. L’économie assume tout le développement
technologique en fonction du profit, sans prêter attention à
d’éventuelles conséquences négatives pour l’être humain. Les finances
étouffent l’économie réelle. Les leçons de la crise financière mondiale
n’ont pas été retenues, et on prend en compte les leçons de la
détérioration de l’environnement avec beaucoup de lenteur. Dans certains
cercles on soutient que l’économie actuelle et la technologie
résoudront tous les problèmes environnementaux. De même on affirme, en
langage peu académique, que les problèmes de la faim et de la misère
dans le monde auront une solution simplement grâce à la croissance du
marché. Ce n’est pas une question de validité de théories économiques,
que peut-être personne aujourd’hui n’ose défendre, mais de leur
installation de fait dans le développement de l’économie. Ceux qui
n’affirment pas cela en paroles le soutiennent dans les faits quand une
juste dimension de la production, une meilleure répartition des
richesses, une sauvegarde responsable de l’environnement et les droits
des générations futures ne semblent pas les préoccuper. Par leurs
comportements, ils indiquent que l’objectif de maximiser les bénéfices
est suffisant. Mais le marché ne garantit pas en soi le développement
humain intégral ni l’inclusion sociale.[89]
En attendant, nous avons un « surdéveloppement, où consommation et
gaspillage vont de pair, ce qui contraste de façon inacceptable avec des
situations permanentes de misère déshumanisante » ;[90]
et les institutions économiques ainsi que les programmes sociaux qui
permettraient aux plus pauvres d’accéder régulièrement aux ressources de
base ne se mettent pas en place assez rapidement. On n’a pas encore
fini de prendre en compte les racines les plus profondes des
dérèglements actuels qui sont en rapport avec l’orientation, les fins,
le sens et le contexte social de la croissance technologique et
économique.
110. La spécialisation de la technologie elle-même implique une
grande difficulté pour regarder l’ensemble. La fragmentation des savoirs
sert dans la réalisation d’applications concrètes, mais elle amène en
général à perdre le sens de la totalité, des relations qui existent
entre les choses, d’un horizon large qui devient sans importance. Cela
même empêche de trouver des chemins adéquats pour résoudre les problèmes
les plus complexes du monde actuel, surtout ceux de l’environnement et
des pauvres, qui ne peuvent pas être abordés d’un seul regard ou selon
un seul type d’intérêts. Une science qui prétendrait offrir des
solutions aux grandes questions devrait nécessairement prendre en compte
tout ce qu’a produit la connaissance dans les autres domaines du
savoir, y compris la philosophie et l’éthique sociale. Mais c’est une
habitude difficile à prendre aujourd’hui. C’est pourquoi de véritables
horizons éthiques de référence ne peuvent pas non plus être reconnus. La
vie est en train d’être abandonnée aux circonstances conditionnées par
la technique, comprise comme le principal moyen d’interpréter
l’existence. Dans la réalité concrète qui nous interpelle, divers
symptômes apparaissent qui montrent cette erreur, comme la dégradation
de l’environnement, l’angoisse, la perte du sens de la vie et de la
cohabitation. On voit ainsi, une fois de plus, que « la réalité est
supérieure à l’idée ».[91]
111. La culture écologique ne peut pas se réduire à une série de
réponses urgentes et partielles aux problèmes qui sont en train
d’apparaître par rapport à la dégradation de l’environnement, à
l’épuisement des réserves naturelles et à la pollution. Elle devrait
être un regard différent, une pensée, une politique, un programme
éducatif, un style de vie et une spiritualité qui constitueraient une
résistance face à l’avancée du paradigme technocratique. Autrement, même
les meilleures initiatives écologiques peuvent finir par s’enfermer
dans la même logique globalisée. Chercher seulement un remède technique à
chaque problème environnemental qui surgit, c’est isoler des choses qui
sont entrelacées dans la réalité, et c’est se cacher les vraies et plus
profondes questions du système mondial.
112. Cependant, il est possible d’élargir de nouveau le regard, et la
liberté humaine est capable de limiter la technique, de l’orienter,
comme de la mettre au service d’un autre type de progrès, plus sain,
plus humain, plus social, plus intégral. La libération par rapport au
paradigme technocratique régnant a lieu, de fait, en certaines
occasions, par exemple, quand des communautés de petits producteurs
optent pour des systèmes de production moins polluants, en soutenant un
mode de vie, de bonheur et de cohabitation non consumériste ; ou bien
quand la technique est orientée prioritaire- ment pour résoudre les
problèmes concrets des autres, avec la passion de les aider à vivre avec
plus de dignité et moins de souffrances ; de même quand l’intention
créatrice du beau et sa contemplation arrivent à dépasser le pouvoir
objectivant en une sorte de salut qui se réalise dans le beau et dans la
personne qui le contemple. L’authentique humanité, qui invite à une
nouvelle synthèse, semble habiter au milieu de la civilisation
technologique presque de manière imperceptible, comme le brouillard qui
filtre sous une porte close. Serait-ce une promesse permanente, malgré
tout, jaillissant comme une résistance obstinée de ce qui est
authentique ?
113. D’autre part, les gens ne semblent plus croire en un avenir
heureux, ils ne mettent pas aveuglément leur confiance dans un lendemain
meilleur à partir des conditions actuelles du monde et des capacités
techniques. Ils prennent conscience que les avancées de la science et de
la technique ne sont pas équivalentes aux avancées de l’humanité et de
l’histoire, et ils perçoivent que les chemins fondamentaux sont autres
pour un avenir heureux. Cependant, ils ne s’imaginent pas pour autant
renoncer aux possibilités qu’offre la technologie. L’humanité s’est
profondément transformée, et l’accumulation des nouveautés continuelles
consacre une fugacité qui nous mène dans une seule direction, à la
surface des choses. Il devient difficile de nous arrêter pour retrouver
la profondeur de la vie. S’il est vrai que l’architecture reflète
l’esprit d’une époque, les mégastructures et les maisons en séries
expriment l’esprit de la technique globalisée, où la nouveauté
permanente des produits s’unit à un pesant ennui. Ne nous résignons pas à
cela, et ne renonçons pas à nous interroger sur les fins et sur le sens
de toute chose. Autrement, nous légitimerions la situation actuelle et
nous aurions besoin de toujours plus de succédanés pour supporter le
vide.
114. Ce qui arrive en ce moment nous met devant l’urgence d’avancer
dans une révolution culturelle courageuse. La science et la technologie
ne sont pas neutres, mais peuvent impliquer, du début à la fin d’un
processus, diverses intentions et possibilités, et elles peuvent se
configurer de différentes manières. Personne ne prétend vouloir
retourner à l’époque des cavernes, cependant il est indispensable de
ralentir la marche pour regarder la réalité d’une autre manière,
recueillir les avancées positives et durables, et en même temps
récupérer les valeurs et les grandes finalités qui ont été détruites par
une frénésie mégalomane.
III. CRISE ET CONSÉQUENCES DE L’ANTHROPOCENTRISME MODERNE
115. L’anthropocentrisme moderne, paradoxalement, a fini par mettre
la raison technique au-dessus de la réalité, parce que l’être humain «
n’a plus le sentiment ni que la nature soit une norme valable, ni
qu’elle lui offre un refuge vivant. Il la voit sans suppositions
préalables, objectivement, sous la forme d’un espace et d’une matière
pour une œuvre où l’on jette tout, peu importe ce qui en résultera ».[92]
De cette manière, la valeur que possède le monde en lui-même
s’affaiblit. Mais si l’être humain ne redécouvre pas sa véritable place,
il ne se comprend pas bien lui-même et finit par contredire sa propre
réalité : « Non seulement la terre a été donnée par Dieu à l’homme, qui
doit en faire usage dans le respect de l’intention primitive, bonne,
dans laquelle elle a été donnée, mais l’homme, lui aussi, est donné par
Dieu à lui-même et il doit donc respecter la structure naturelle et
morale dont il a été doté».[93]
116. Dans la modernité, il y a eu une grande démesure
anthropocentrique qui, sous d’autres formes, continue aujourd’hui à
nuire à toute référence commune et à toute tentative pour renforcer les
liens sociaux. C’est pourquoi, le moment est venu de prêter de nouveau
attention à la réalité avec les limites qu’elle impose, et qui offrent à
leur tour la possibilité d’un développement humain et social plus sain
et plus fécond. Une présentation inadéquate de l’anthropologie
chrétienne a pu conduire à soutenir une conception erronée de la
relation entre l’être humain et le monde. Un rêve prométhéen de
domination sur le monde s’est souvent transmis, qui a donné l’impression
que la sauvegarde de la nature est pour les faibles. La façon correcte
d’interpréter le concept d’être humain comme “seigneur” de l’univers est
plutôt celle de le considérer comme administrateur responsable.[94]
117. Le manque de préoccupation pour mesurer les préjudices causés à
la nature et l’impact environnemental des décisions est seulement le
reflet le plus visible d’un désintérêt pour reconnaître le message que
la nature porte inscrit dans ses structures mêmes. Quand on ne reconnaît
pas, dans la réalité même, la valeur d’un pauvre, d’un embryon humain,
d’une personne vivant une situation de handicap – pour prendre seulement
quelques exemples – on écoutera difficilement les cris de la nature
elle-même. Tout est lié. Si l’être humain se déclare autonome par
rapport à la réalité et qu’il se pose en dominateur absolu, la base même
de son existence s’écroule, parce qu’« au lieu de remplir son rôle de
collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création, l’homme se substitue à
Dieu et ainsi finit par provoquer la révolte de la nature ».[95]
118. Cette situation nous conduit à une schizophrénie permanente, qui
va de l’exaltation technocratique qui ne reconnaît pas aux autres êtres
une valeur propre, à la réaction qui nie toute valeur particulière à
l’être humain. Mais on ne peut pas faire abstraction de l’humanité. Il
n’y aura pas de nouvelle relation avec la nature sans un être humain
nouveau. Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie adéquate. Quand la
personne humaine est considérée seulement comme un être parmi d’autres,
qui procéderait des jeux du hasard ou d’un déterminisme physique, « la
conscience de sa responsabilité risque de s’atténuer dans les esprits ».[96]
Un anthropocentrisme dévié ne doit pas nécessairement faire place à un
“bio-centrisme”, parce que cela impliquerait d’introduire un nouveau
déséquilibre qui, non seulement ne résoudrait pas les problèmes mais en
ajouterait d’autres. On ne peut pas exiger de l’être humain un
engagement respectueux envers le monde si on ne reconnaît pas et ne
valorise pas en même temps ses capacités particulières de connaissance,
de volonté, de liberté et de responsabilité.
119. La critique de l’anthropocentrisme dévié ne devrait pas non plus
faire passer au second plan la valeur des relations entre les
personnes. Si la crise écologique est l’éclosion ou une manifestation
extérieure de la crise éthique, culturelle et spirituelle de la
modernité, nous ne pouvons pas prétendre soigner notre relation à la
nature et à l’environnement sans assainir toutes les relations
fondamentales de l’être humain. Quand la pensée chrétienne revendique
une valeur particulière pour l’être humain supérieure à celle des autres
créatures, cela donne lieu à une valorisation de chaque personne
humaine, et entraîne la reconnaissance de l’autre. L’ouverture à un “ tu
” capable de connaître, d’aimer, et de dialoguer continue d’être la
grande noblesse de la personne humaine. C’est pourquoi, pour une
relation convenable avec le monde créé, il n’est pas nécessaire
d’affaiblir la dimension sociale de l’être humain ni sa dimension
transcendante, son ouverture au “ Tu ” divin. En effet, on ne peut pas
envisager une relation avec l’environnement isolée de la relation avec
les autres personnes et avec Dieu. Ce serait un individualisme
romantique, déguisé en beauté écologique, et un enfermement asphyxiant
dans l’immanence.
120. Puisque tout est lié, la défense de la nature n’est pas
compatible non plus avec la justification de l’avortement. Un chemin
éducatif pour accueillir les personnes faibles de notre entourage, qui
parfois dérangent et sont inopportunes, ne semble pas praticable si l’on
ne protège pas l’embryon humain, même si sa venue cause de la gêne et
des difficultés : « Si la sensibilité personnelle et sociale à l’accueil
d’une nouvelle vie se perd, alors d’autres formes d’accueil utiles à la
vie sociale se dessèchent ».[97]
121. Le développement d’une nouvelle synthèse qui dépasse les fausses
dialectiques des derniers siècles reste en suspens. Le christianisme
lui-même, en se maintenant fidèle à son identité et au trésor de vérité
qu’il a reçu de Jésus-Christ, se repense toujours et se réexprime dans
le dialogue avec les nouvelles situations historiques, laissant
apparaître ainsi son éternelle nouveauté.[98]
Le relativisme pratique
122. Un anthropocentrisme dévié donne lieu à un style de vie dévié. Dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium,
j’ai fait référence au relativisme pratique qui caractérise notre
époque, et qui est « encore plus dangereux que le relativisme
doctrinal».[99]
Quand l’être humain se met lui-même au centre, il finit par donner la
priorité absolue à ses intérêts de circonstance, et tout le reste
devient relatif. Par conséquent, il n’est pas étonnant que, avec
l’omniprésence du paradigme technocratique et le culte du pouvoir humain
sans limites, se développe chez les personnes ce relativisme dans
lequel tout ce qui ne sert pas aux intérêts personnels immédiats est
privé d’importance. Il y a en cela une logique qui permet de comprendre
comment certaines attitudes, qui provoquent en même temps la dégradation
de l’environnement et la dégradation sociale, s’alimentent
mutuellement.
123. La culture du relativisme est la même pathologie qui pousse une
personne à exploiter son prochain et à le traiter comme un pur objet,
l’obligeant aux travaux forcés, ou en faisant de lui un esclave à cause
d’une dette. C’est la même logique qui pousse à l’exploitation sexuelle
des enfants ou à l’abandon des personnes âgées qui ne servent pas des
intérêts personnels. C’est aussi la logique intérieure de celui qui dit :
?Laissons les forces invisibles du marché réguler l’économie, parce que
ses impacts sur la société et sur la nature sont des dommages
inévitables’. S’il n’existe pas de vérités objectives ni de principes
solides hors de la réalisation de projets personnels et de la
satisfaction de nécessités immédiates, quelles limites peuvent alors
avoir la traite des êtres humains, la criminalité organisée, le
narcotrafic, le commerce de diamants ensanglantés et de peaux d’animaux
en voie d’extinction ? N’est-ce pas la même logique relativiste qui
justifie l’achat d’organes des pauvres dans le but de les vendre ou de
les utiliser pour l’expérimentation, ou le rejet d’enfants parce qu’ils
ne répondent pas au désir de leurs parents ? C’est la même logique du
“utilise et jette”, qui engendre tant de résidus, seulement à cause du
désir désordonné de consommer plus qu’il n’est réellement nécessaire.
Par conséquent, nous ne pouvons pas penser que les projets politiques et
la force de la loi seront suffisants pour que soient évités les
comportements qui affectent l’environnement, car, lorsque la culture se
corrompt et qu’on ne reconnaît plus aucune vérité objective ni de
principes universellement valables, les lois sont comprises uniquement
comme des impositions arbitraires et comme des obstacles à contourner.
La nécessité de préserver le travail
124. Dans n’importe quelle approche d’une écologie intégrale qui
n’exclue pas l’être humain, il est indispensable d’incorporer la valeur
du travail, développée avec grande sagesse par saint Jean-Paul II dans
son Encyclique Laborem exercens. Rappelons que, selon le récit biblique de la création, Dieu a placé l’être humain dans le jardin à peine créé (cf. Gn 2,
15) non seulement pour préserver ce qui existe (protéger) mais aussi
pour le travailler de manière à ce qu’il porte du fruit (labourer).
Ainsi, les ouvriers et les artisans « assurent une création éternelle » (Si
38, 34). En réalité, l’intervention humaine qui vise le développement
prudent du créé est la forme la plus adéquate d’en prendre soin, parce
qu’elle implique de se considérer comme instrument de Dieu pour aider à
faire apparaître les potentialités qu’il a lui-même mises dans les
choses : « Le Seigneur a créé les plantes médicinales, l’homme avisé ne
les méprise pas » (Si 38, 4).
125. Si nous essayons de considérer quelles sont les relations
adéquates de l’être humain avec le monde qui l’entoure, la nécessité
d’une conception correcte du travail émerge, car si nous parlons de la
relation de l’être humain avec les choses, la question du sens et de la
finalité de l’action humaine sur la réalité apparaît. Nous ne parlons
pas seulement du travail manuel ou du travail de la terre, mais de toute
activité qui implique quelque transformation de ce qui existe, depuis
l’élaboration d’une étude sociale jusqu’au projet de développement
technologique. N’importe quelle forme de travail suppose une conception
d’une relation que l’être humain peut ou doit établir avec son
semblable. La spiritualité chrétienne, avec l’admiration contemplative
des créatures que nous trouvons chez saint François d’Assise, a
développé aussi une riche et saine compréhension du travail, comme nous
pouvons le voir, par exemple, dans la vie du bienheureux Charles de
Foucauld et de ses disciples.
126. Recueillons aussi quelque chose de la longue tradition du
monachisme. Au commencement, il favorisait, d’une certaine manière, la
fuite du monde, essayant d’échapper à la décadence urbaine. Voilà
pourquoi les moines cherchaient le désert, convaincus que c’était le
lieu propice pour reconnaître la présence de Dieu. Plus tard, saint
Benoît de Nurcie a proposé que ses moines vivent en communauté, alliant
la prière et la lecture au travail manuel (“Ora et labora’’).
Cette introduction du travail manuel, imprégné de sens spirituel, était
révolutionnaire. On a appris à chercher la maturation et la
sanctification dans la compénétration du recueillement et du travail.
Cette manière de vivre le travail nous rend plus attentifs et plus
respectueux de l’environnement, elle imprègne de saine sobriété notre
relation au monde.
127. Nous disons que « l’homme est l’auteur, le centre et le but de toute la vie économico-sociale».[100]
Malgré cela, quand la capacité de contempler et de respecter est
détériorée chez l’être humain, les conditions sont créées pour que le
sens du travail soit défiguré.[101]
Il faut toujours se rappeler que l’être humain est « capable d’être
lui-même l’agent responsable de son mieux-être matériel, de son progrès
moral, et de son épanouissement spirituel».[102]
Le travail devrait être le lieu de ce développement personnel multiple
où plusieurs dimensions de la vie sont en jeu : la créativité, la
projection vers l’avenir, le développement des capacités, la mise en
pratique de valeurs, la communication avec les autres, une attitude
d’adoration. C’est pourquoi, dans la réalité sociale mondiale actuelle,
au-delà des intérêts limités des entreprises et d’une rationalité
économique discutable, il est nécessaire que « l’on continue à se donner comme objectif prioritaire l’accès au travail...pour tous».[103]
128. Nous sommes appelés au travail dès notre création. On ne doit
pas chercher à ce que le progrès technologique remplace de plus en plus
le travail humain, car ainsi l’humanité se dégraderait elle-même. Le
travail est une nécessité, il fait partie du sens de la vie sur cette
terre, chemin de maturation, de développement humain et de réalisation
personnelle. Dans ce sens, aider les pauvres avec de l’argent doit
toujours être une solution provisoire pour affronter des urgences. Le
grand objectif devrait toujours être de leur permettre d’avoir une vie
digne par le travail. Mais l’orientation de l’économie a favorisé une
sorte d’avancée technologique pour réduire les coûts de production par
la diminution des postes de travail qui sont remplacés par des machines.
C’est une illustration de plus de la façon dont l’action de l’être
humain peut se retourner contre lui-même. La diminution des postes de
travail « a aussi un impact négatif sur le plan économique à travers
l’érosion progressive du “capital social”, c’est-à-dire de cet ensemble
de relations de confiance, de fiabilité, de respect des règles
indispensables à toute coexistence civile ».[104] En définitive, « les coûts humains sont toujours aussi des coûts économiques, et les dysfonctionnements économiques entraînent toujours des coûts humains ».[105] Cesser d’investir dans les personnes pour obtenir plus de profit immédiat est une très mauvaise affaire pour la société.
129. Pour qu’il continue d’être possible de donner du travail, il est
impérieux de promouvoir une économie qui favorise la diversité
productive et la créativité entrepreneuriale. Par exemple, il y a une
grande variété de systèmes alimentaires ruraux de petites dimensions qui
continuent à alimenter la plus grande partie de la population mondiale,
en utilisant une faible proportion du territoire et de l’eau, et en
produisant peu de déchets, que ce soit sur de petites parcelles
agricoles, vergers, ou grâce à la chasse, à la cueillette et la pêche
artisanale, entre autres. Les économies d’échelle, spécialement dans le
secteur agricole, finissent par forcer les petits agriculteurs à vendre
leurs terres ou à abandonner leurs cultures traditionnelles. Les
tentatives de certains pour développer d’autres formes de production
plus diversifiées, finissent par être vaines en raison des difficultés
pour entrer sur les marchés régionaux et globaux, ou parce que
l’infrastructure de vente et de transport est au service des grandes
entreprises. Les autorités ont le droit et la responsabilité de prendre
des mesures de soutien clair et ferme aux petits producteurs et à la
variété de la production. Pour qu’il y ait une liberté économique dont
tous puissent effectivement bénéficier, il peut parfois être nécessaire
de mettre des limites à ceux qui ont plus de moyens et de pouvoir
financier. Une liberté économique seulement déclamée, tandis que les
conditions réelles empêchent beaucoup de pouvoir y accéder
concrètement et que l’accès au travail se détériore, devient un discours
contradictoire qui déshonore la politique. L’activité d’entreprise, qui
est une vocation noble orientée à produire de la richesse et à
améliorer le monde pour tous, peut être une manière très féconde de
promouvoir la région où elle installe ses projets ; surtout si on
comprend que la création de postes de travail est une partie
incontournable de son service du bien commun.
L’innovation biologique à partir de la recherche
130. Dans la vision philosophique et théologique de la création que
j’ai cherché à proposer, il reste clair que la personne humaine, avec la
particularité de sa raison et de sa science, n’est pas un facteur
extérieur qui doit être totalement exclu. Cependant, même si l’être
humain peut intervenir sur le monde végétal et animal et en faire usage
quand c’est nécessaire pour sa vie, le Catéchisme enseigne que
les expérimentations sur les animaux sont légitimes seulement « si elles
restent dans des limites raisonnables et contribuent à soigner ou
sauver des vies humaines ».[106]
Il rappelle avec fermeté que le pouvoir de l’homme a des limites et
qu’« il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement
les animaux et de gaspiller leurs vies ».[107] Toute utilisation ou expérimentation « exige un respect religieux de l’intégrité de la création ».[108]
131. Je veux recueillir ici la position équilibrée de saint Jean-Paul
II, mettant en évidence les bienfaits des progrès scientifiques et
technologiques, qui « manifestent la noblesse de la vocation de l’homme à
participer de manière responsable à l’action créatrice de Dieu dans le
monde ». Mais en même temps il rappelait qu’« aucune intervention dans
un domaine de l’écosystème ne peut se dispenser de prendre en
considération ses conséquences dans d’autres domaines ».[109]
Il soulignait que l’Église valorise l’apport de « l’étude et des
applications de la biologie moléculaire, complétée par d’autres
disciplines, comme la génétique et son application technologique dans
l’agriculture et dans l’industrie »[110], même s’il affirme aussi que cela ne doit pas donner lieu à une « manipulation génétique menée sans discernement »[111]
qui ignore les effets négatifs de ces interventions. Il n’est pas
possible de freiner la créativité humaine. Si on ne peut interdire à un
artiste de déployer sa capacité créatrice, on ne peut pas non plus
inhiber ceux qui ont des dons spéciaux pour le développement
scientifique et technologique, dont les capacités ont été données par
Dieu pour le service des autres. En même temps, on ne peut pas cesser de
préciser toujours davantage les objectifs, les effets, le contexte et
les limites éthiques de cette activité humaine qui est une forme de
pouvoir comportant de hauts risques.
132. C’est dans ce cadre que devrait se situer toute réflexion autour
de l’intervention humaine sur les végétaux et les animaux qui implique
aujourd’hui des mutations génétiques générées par la biotechnologie,
dans le but d’exploiter les possibilités présentes dans la réalité
matérielle. Le respect de la foi envers la raison demande de prêter
attention à ce que la science biologique elle-même, développée de
manière indépendante par rapport aux intérêts économiques, peut
enseigner sur les structures biologiques ainsi que sur leurs
possibilités et leurs mutations. Quoiqu’il en soit, l’intervention
légitime est celle qui agit sur la nature « pour l’aider à s’épanouir
dans sa ligne, celle de la création, celle voulue par Dieu ».[112]
133. Il est difficile d’émettre un jugement général sur les
développements de transgéniques (OMG), végétaux ou animaux, à des fins
médicales ou agro-pastorales, puisqu’ils peuvent être très divers entre
eux et nécessiter des considérations différentes. D’autre part, les
risques ne sont pas toujours dus à la technique en soi, mais à son
application inadaptée ou excessive. En réalité, les mutations génétiques
ont été, et sont très souvent, produites par la nature elle-même. Même
celles provoquées par l’intervention humaine ne sont pas un phénomène
moderne. La domestication des animaux, le croisement des espèces et
autres pratiques anciennes et universellement acceptées peuvent entrer
dans ces considérations. Il faut rappeler que le début des
développements scientifiques de céréales transgéniques a été
l’observation d’une bactérie qui produit naturellement et spontanément
une modification du génome d’un végétal. Mais dans la nature, ces
processus ont un rythme lent qui n’est pas comparable à la rapidité
qu’imposent les progrès technologiques actuels, même quand ces avancées
font suite à un développement scientifique de plusieurs siècles.
134. Même en l’absence de preuves irréfutables du préjudice que
pourraient causer les céréales transgéniques aux êtres humains, et même
si, dans certaines régions, leur utilisation est à l’origine d’une
croissance économique qui a aidé à résoudre des problèmes, il y a des
difficultés importantes qui ne doivent pas être relativisées. En de
nombreux endroits, suite à l’introduction de ces cultures, on constate
une concentration des terres productives entre les mains d’un petit
nombre, due à « la disparition progressive des petits producteurs, qui,
en conséquence de la perte de terres exploitables, se sont vus obligés
de se retirer de la production directe».[113]
Les plus fragiles deviennent des travailleurs précaires, et beaucoup
d’employés ruraux finissent par migrer dans de misérables implantations
urbaines. L’extension de la surface de ces cultures détruit le réseau
complexe des écosystèmes, diminue la diversité productive, et compromet
le présent ainsi que l’avenir des économies régionales. Dans plusieurs
pays, on perçoit une tendance au développement des oligopoles dans la
production de grains et d’autres produits nécessaires à leur culture, et
la dépendance s’aggrave encore avec la production de grains stériles
qui finirait par obliger les paysans à en acheter aux entreprises
productrices.
135. Sans doute, une attention constante, qui porte à considérer tous
les aspects éthiques concernés, est nécessaire. Pour cela, il faut
garantir une discussion scientifique et sociale qui soit responsable et
large, capable de prendre en compte toute l’information disponible et
d’appeler les choses par leur nom. Parfois, on ne met pas à disposition
toute l’information, qui est sélectionnée selon les intérêts
particuliers, qu’ils soient politiques, économiques ou idéologiques. De
ce fait, il devient difficile d’avoir un jugement équilibré et prudent
sur les diverses questions, en prenant en compte tous les paramètres
pertinents. Il est nécessaire d’avoir des espaces de discussion où tous
ceux qui, de quelque manière, pourraient être directement ou
indirectement concernés (agriculteurs, consommateurs, autorités,
scientifiques, producteurs de semences, populations voisines des champs
traités, et autres) puissent exposer leurs problématiques ou accéder à
l’information complète et fiable pour prendre des décisions en faveur du
bien commun présent et futur. Il s’agit d’une question d’environnement
complexe dont le traitement exige un regard intégral sous tous ses
aspects, et cela requiert au moins un plus grand effort pour financer
les diverses lignes de recherche, autonomes et interdisciplinaires, en
mesure d’apporter une lumière nouvelle.
136. D’autre part, il est préoccupant que certains mouvements
écologistes qui défendent l’intégrité de l’environnement et exigent avec
raison certaines limites à la recherche scientifique, n’appliquent pas
parfois ces mêmes principes à la vie humaine. En général, on justifie le
dépassement de toutes les limites quand on fait des expérimentations
sur les embryons humains vivants. On oublie que la valeur inaliénable de
l’être humain va bien au-delà de son degré de développement. Du reste,
quand la technique ignore les grands principes éthiques, elle finit par
considérer comme légitime n’importe quelle pratique. Comme nous l’avons
vu dans ce chapitre, la technique séparée de l’éthique sera
difficilement capable d’autolimiter son propre pouvoir.
QUATRIEME CHAPITRE
UNE ECOLOGIE INTEGRALE
137. Étant donné que tout est intimement lié, et que les problèmes
actuels requièrent un regard qui tienne compte de tous les aspects de la
crise mondiale, je propose à présent que nous nous arrêtions pour
penser aux diverses composantes d’une écologie intégrale, qui a clairement des dimensions humaines et sociales.
I. L’ÉCOLOGIE ENVIRONNEMENTALE, ÉCONOMIQUE ET SOCIALE
138. L’écologie étudie les relations entre les organismes vivants et
l’environnement où ceux-ci se développent. Cela demande de s’asseoir
pour penser et pour discuter avec honnêteté des conditions de vie et de
survie d’une société, pour remettre en question les modèles de
développement, de production et de consommation. Il n’est pas superflu
d’insister sur le fait que tout est lié. Le temps et l’espace ne sont
pas indépendants l’un de l’autre, et même les atomes ou les particules
sous-atomiques ne peuvent être considérés séparément. Tout comme les
différentes composantes de la planète – physiques, chimiques et
biologiques – sont reliées entre elles, de même les espèces vivantes
constituent un réseau que nous n’avons pas encore fini d’identifier et
de comprendre. Une bonne partie de notre information génétique est
partagée par beaucoup d’êtres vivants. Voilà pourquoi les connaissances
fragmentaires et isolées peuvent devenir une forme d’ignorance si elles
refusent de s’intégrer dans une plus ample vision de la réalité.
139. Quand on parle d’“environnement”, on désigne en particulier une
relation, celle qui existe entre la nature et la société qui l’habite.
Cela nous empêche de concevoir la nature comme séparée de nous ou comme
un simple cadre de notre vie. Nous sommes inclus en elle, nous en sommes
une partie, et nous sommes enchevêtrés avec elle. Les raisons pour
lesquelles un endroit est pollué exigent une analyse du fonctionnement
de la société, de son économie, de son comportement, de ses manières de
comprendre la réalité. Étant donné l’ampleur des changements, il n’est
plus possible de trouver une réponse spécifique et indépendante à chaque
partie du problème. Il est fondamental de chercher des solutions
intégrales qui prennent en compte les interactions des systèmes naturels
entre eux et avec les systèmes sociaux. Il n’y a pas deux crises
séparées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et
complexe crise socio-environnementale. Les possibilités de solution
requièrent une approche intégrale pour combattre la pauvreté, pour
rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature.
140. À cause de la quantité et de la variété des éléments à prendre
en compte, il devient indispensable, au moment de déterminer l’impact
d’une initiative concrète sur l’environnement, de donner aux chercheurs
un rôle prépondérant et de faciliter leur interaction, dans une grande
liberté académique. Ces recherches constantes devraient permettre de
reconnaître aussi comment les différentes créatures sont liées et
constituent ces unités plus grandes qu’aujourd’hui nous nommons
“écosystèmes”. Nous ne les prenons pas en compte seulement pour
déterminer quelle est leur utilisation rationnelle, mais en raison de
leur valeur intrinsèque indépendante de cette utilisation. Tout comme
chaque organisme est bon et admirable, en soi, parce qu’il est une
créature de Dieu, il en est de même de l’ensemble harmonieux
d’organismes dans un espace déterminé, fonctionnant comme un système.
Bien que nous n’en ayons pas conscience, nous dépendons de cet ensemble
pour notre propre existence. Il faut rappeler que les écosystèmes
interviennent dans la capture du dioxyde de carbone, dans la
purification de l’eau, dans le contrôle des maladies et des épidémies,
dans la formation du sol, dans la décomposition des déchets, et dans
beaucoup d’autres services que nous oublions ou ignorons. Beaucoup de
personnes, remarquant cela, recommencent à prendre conscience du fait
que nous vivons et agissons à partir d’une réalité qui nous a été
offerte au préalable, qui est antérieure à nos capacités et à notre
existence. Voilà pourquoi, quand on parle d’une “utilisation durable”,
il faut toujours y inclure la capacité de régénération de chaque
écosystème dans ses divers domaines et aspects.
141. Par ailleurs, la croissance économique tend à produire des
automatismes et à homogénéiser, en vue de simplifier les procédures et
de réduire les coûts. C’est pourquoi une écologie économique est
nécessaire, capable d’obliger à considérer la réalité de manière plus
ample. En effet, « la protection de l’environnement doit faire partie
intégrante du processus de développement et ne peut être considérée
isolément».[114]
Mais en même temps, devient actuelle la nécessité impérieuse de
l’humanisme qui, en soi, fait appel aux différents savoirs, y compris à
la science économique, pour un regard plus intégral et plus intégrant.
Aujourd’hui l’analyse des problèmes environnementaux est inséparable de
l’analyse des contextes humains, familiaux, de travail, urbains, et de
la relation de chaque personne avec elle-même qui génère une façon
déterminée d’entrer en rapport avec les autres et avec l’environnement.
Il y a une interaction entre les écosystèmes et entre les divers mondes
de référence sociale, et ainsi, une fois de plus, il s’avère que « le
tout est supérieur à la partie ».[115]
142. Si tout est lié, l’état des institutions d’une société a aussi
des conséquences sur l’environnement et sur la qualité de vie humaine : «
Toute atteinte à la solidarité et à l’amitié civique provoque des
dommages à l’environnement ».[116]
Dans ce sens, l’écologie sociale est nécessairement institutionnelle et
atteint progressivement les différentes dimensions qui vont du groupe
social primaire, la famille, en passant par la communauté locale et la
Nation, jusqu’à la vie internationale. À l’intérieur de chacun des
niveaux sociaux et entre eux, se développent les institutions qui
régulent les relations humaines. Tout ce qui leur porte préjudice a des
effets nocifs, comme la perte de la liberté, l’injustice et la violence.
Divers pays s’alignent sur un niveau institutionnel précaire, au prix
de la souffrance des populations et au bénéfice de ceux qui tirent
profit de cet état des choses. Tant dans l’administration de l’État que
dans les diverses expressions de la société civile, ou dans les
relations entre citoyens, on constate très souvent des conduites
éloignées des lois. Celles-ci peuvent être correctement écrites, mais
restent ordinairement lettre morte. Peut-on alors espérer que la
législation et les normes relatives à l’environnement soient réellement
efficaces ? Nous savons, par exemple, que des pays dotés d’une
législation claire pour la protection des forêts continuent d’être des
témoins muets de la violation fréquente de ces lois. En outre, ce qui se
passe dans une région exerce, directement ou indirectement, des
influences sur les autres régions. Ainsi, par exemple, la consommation
de narcotiques dans les sociétés opulentes provoque une demande
constante ou croissante de ces produits provenant de régions appauvries,
où les conduites se corrompent, des vies sont détruites et où
l’environnement finit par se dégrader.
II. L’ÉCOLOGIE CULTURELLE
143. Il y a, avec le patrimoine naturel, un patrimoine historique,
artistique et culturel, également menacé. Il fait partie de l’identité
commune d’un lieu et il est une base pour construire une ville
habitable. Il ne s’agit pas de détruire, ni de créer de nouvelles villes
soi-disant plus écologiques, où il ne fait pas toujours bon vivre. Il
faut prendre en compte l’histoire, la culture et l’architecture d’un
lieu, en maintenant son identité originale. Voilà pourquoi l’écologie
suppose aussi la préservation des richesses culturelles de l’humanité au
sens le plus large du terme. D’une manière plus directe, elle exige
qu’on fasse attention aux cultures locales, lorsqu’on analyse les
questions en rapport avec l’environnement, en faisant dialoguer le
langage scientifique et technique avec le langage populaire. C’est la
culture, non seulement dans le sens des monuments du passé mais surtout
dans son sens vivant, dynamique et participatif, qui ne peut pas être
exclue lorsqu’on repense la relation de l’être humain avec
l’environnement.
144. La vision consumériste de l’être humain, encouragée par les
engrenages de l’économie globalisée actuelle, tend à homogénéiser les
cultures et à affaiblir l’immense variété culturelle, qui est un trésor
de l’humanité. C’est pourquoi prétendre résoudre toutes les difficultés à
travers des réglementations uniformes ou des interventions techniques,
conduit à négliger la complexité des problématiques locales qui
requièrent l’intervention active des citoyens. Les nouveaux processus en
cours ne peuvent pas toujours être incorporés dans des schémas établis
de l’extérieur, mais ils doivent partir de la culture locale elle-même.
Comme la vie et le monde sont dynamiques, la préservation du monde doit
être flexible et dynamique. Les solutions purement techniques courent le
risque de s’occuper des symptômes qui ne répondent pas aux
problématiques les plus profondes. Il faut y inclure la perspective des
droits des peuples et des cultures, et comprendre ainsi que le
développement d’un groupe social suppose un processus historique dans un
contexte culturel, et requiert de la part des acteurs sociaux locaux un
engagement constant en première ligne, à partir de leur propre culture.
Même la notion de qualité de vie ne peut être imposée, mais elle doit
se concevoir à l’intérieur du monde des symboles et des habitudes
propres à chaque groupe humain.
145. Beaucoup de formes hautement concentrées d’exploitation et de
dégradation de l’environnement peuvent non seulement épuiser les
ressources de subsistance locales, mais épuiser aussi les capacités
sociales qui ont permis un mode de vie ayant donné, pendant longtemps,
une identité culturelle ainsi qu’un sens de l’existence et de la
cohabitation. La disparition d’une culture peut être aussi grave ou plus
grave que la disparition d’une espèce animale ou végétale. L’imposition
d’un style de vie hégémonique lié à un mode de production peut être
autant nuisible que l’altération des écosystèmes.
146. Dans ce sens, il est indispensable d’accorder une attention
spéciale aux communautés aborigènes et à leurs traditions culturelles.
Elles ne constituent pas une simple minorité parmi d’autres, mais elles
doivent devenir les principaux interlocuteurs, surtout lorsqu’on
développe les grands projets qui affectent leurs espaces. En effet, la
terre n’est pas pour ces communautés un bien économique, mais un don de
Dieu et des ancêtres qui y reposent, un espace sacré avec lequel elles
ont besoin d’interagir pour soutenir leur identité et leurs valeurs.
Quand elles restent sur leurs territoires, ce sont précisément elles qui
les préservent le mieux. Cependant, en diverses parties du monde, elles
font l’objet de pressions pour abandonner leurs terres afin de les
laisser libres pour des projets d’extraction ainsi que pour des projets
agricoles et de la pêche, qui ne prêtent pas attention à la dégradation
de la nature et de la culture.
III. L’ÉCOLOGIE DE LA VIE QUOTIDIENNE
147. Pour parler d’un authentique développement il faut s’assurer
qu’une amélioration intégrale dans la qualité de vie humaine se réalise ;
et cela implique d’analyser l’espace où vivent les personnes. Le cadre
qui nous entoure influe sur notre manière de voir la vie, de sentir et
d’agir. En même temps, dans notre chambre, dans notre maison, sur notre
lieu de travail et dans notre quartier, nous utilisons l’environnement
pour exprimer notre identité. Nous nous efforçons de nous adapter au
milieu, et quand un environnement est désordonné, chaotique ou chargé de
pollution visuelle et auditive, l’excès de stimulations nous met au
défi d’essayer de construire une identité intégrée et heureuse.
148. La créativité et la générosité sont admirables de la part de
personnes comme de groupes qui sont capables de transcender les limites
de l’environnement, en modifiant les effets négatifs des
conditionnements et en apprenant à orienter leur vie au milieu du
désordre et de la précarité. Par exemple, dans certains endroits où les
façades des édifices sont très abîmées, il y a des personnes qui, avec
beaucoup de dignité, prennent soin de l’intérieur de leurs logements, ou
bien qui se sentent à l’aise en raison de la cordialité et de l’amitié
des gens. La vie sociale positive et bénéfique des habitants répand une
lumière sur un environnement apparemment défavorable. Parfois,
l’écologie humaine, que les pauvres peuvent développer au milieu de tant
de limitations, est louable. La sensation d’asphyxie, produite par
l’entassement dans des résidences et dans des espaces à haute densité de
population, est contrebalancée si des relations humaines d’un voisinage
convivial sont développées, si des communautés sont créées, si les
limites de l’environnement sont compensées dans chaque personne qui se
sent incluse dans un réseau de communion et d’appartenance. De cette
façon, n’importe quel endroit cesse d’être un enfer et devient le cadre
d’une vie digne.
149. Il est aussi clair que l’extrême pénurie que l’on vit dans
certains milieux qui manquent d’harmonie, d’espace et de possibilités
d’intégration, facilite l’apparition de comportements inhumains et la
manipulation des personnes par des organisations criminelles. Pour les
habitants des quartiers très pauvres, le passage quotidien de
l’entassement à l’anonymat social, qui se vit dans les grandes villes,
peut provoquer une sensation de déracinement qui favorise les conduites
antisociales et la violence. Cependant, je veux insister sur le fait que
l’amour est plus fort. Dans ces conditions, beaucoup de personnes sont
capables de tisser des liens d’appartenance et de cohabitation, qui
transforment l’entassement en expérience communautaire où les murs du
moi sont rompus et les barrières de l’égoïsme dépassées. C’est cette
expérience de salut communautaire qui ordinairement suscite de la
créativité pour améliorer un édifice ou un quartier.[117]
150. Étant donné la corrélation entre l’espace et la conduite
humaine, ceux qui conçoivent des édifices, des quartiers, des espaces
publics et des villes, ont besoin de l’apport de diverses disciplines
qui permettent de comprendre les processus, le symbolisme et les
comportements des personnes. La recherche de la beauté de la conception
ne suffit pas, parce qu’il est plus précieux encore de servir un autre
type de beauté : la qualité de vie des personnes, leur adaptation à
l’environnement, la rencontre et l’aide mutuelle. Voilà aussi pourquoi
il est si important que les perspectives des citoyens complètent
toujours l’analyse de la planification urbaine.
151. Il faut prendre soin des lieux publics, du cadre visuel et des
signalisations urbaines qui accroissent notre sens d’appartenance, notre
sensation d’enracinement, notre sentiment d’“être à la maison”, dans la
ville qui nous héberge et nous unit. Il est important que les
différentes parties d’une ville soient bien intégrées et que les
habitants puissent avoir une vision d’ensemble, au lieu de s’enfermer
dans un quartier en se privant de vivre la ville tout entière comme un
espace vraiment partagé avec les autres. Toute intervention dans le
paysage urbain ou rural devrait considérer que les différents éléments
d’un lieu forment un tout perçu par les habitants comme un cadre
cohérent avec sa richesse de sens. Ainsi les autres cessent d’être des
étrangers, et peuvent se sentir comme faisant partie d’un “nous” que
nous construisons ensemble. Pour la même raison, tant dans
l’environnement urbain que dans l’environnement rural, il convient de
préserver certains lieux où sont évitées les interventions humaines qui
les modifient constamment.
152. Le manque de logements est grave dans de nombreuses parties du
monde, tant dans les zones rurales que dans les grandes villes, parce
que souvent les budgets étatiques couvrent seulement une petite partie
de la demande. Non seulement les pauvres, mais aussi une grande partie
de la société rencontrent de sérieuses difficultés pour accéder à son
propre logement. La possession d’un logement est très étroitement liée à
la dignité des personnes et au développement des familles. C’est une
question centrale de l’écologie humaine. Si déjà des agglomérations
chaotiques de maisons précaires se sont développées dans un lieu, il
s’agit surtout d’urbaniser ces quartiers, non d’éradiquer et d’expulser.
Quand les pauvres vivent dans des banlieues polluées ou dans des
agglomérations dangereuses, « si l’on doit procéder à leur déménagement
[...], pour ne pas ajouter la souffrance à la souffrance, il est
nécessaire de fournir une information adéquate et préalable, d’offrir
des alternatives de logements dignes et d’impliquer directement les
intéressés ».[118]
En même temps, la créativité devrait amener à intégrer les quartiers
précaires dans une ville accueillante : « Comme elles sont belles les
villes qui dépassent la méfiance malsaine et intègrent ceux qui sont
différents, et qui font de cette intégration un nouveau facteur de
développement ! Comme elles sont belles les villes qui, même dans leur
architecture, sont remplies d’espaces qui regroupent, mettent en
relation et favorisent la reconnaissance de l’autre ! ».[119]
153. La qualité de vie dans les villes est étroitement liée au
transport, qui est souvent une cause de grandes souffrances pour les
habitants. Dans les villes, circulent beaucoup d’automobiles utilisées
seulement par une ou deux personnes, raison pour laquelle la circulation
devient difficile, le niveau de pollution élevé, d’énormes quantités
d’énergie non renouvelable sont consommées et la construction
d’autoroutes supplémentaires se révèle nécessaire ainsi que des lieux de
stationnement qui nuisent au tissu urbain. Beaucoup de spécialistes
sont unanimes sur la nécessité d’accorder la priorité au transport
public. Mais certaines mesures nécessaires seront à grand-peine
acceptées pacifiquement par la société sans des améliorations
substantielles de ce transport, qui, dans beaucoup de villes, est
synonyme de traitement indigne infligé aux personnes à cause de
l’entassement, de désagréments ou de la faible fréquence des services et
de l’insécurité.
154. La reconnaissance de la dignité particulière de l’être humain
contraste bien des fois avec la vie chaotique que les personnes doivent
mener dans nos villes. Mais cela ne devrait pas détourner l’attention de
l’état d’abandon et d’oubli dont souffrent aussi certains habitants des
zones rurales, où les services essentiels n’arrivent pas, et où se
trouvent des travailleurs réduits à des situations d’esclavage, sans
droits ni perspectives d’une vie plus digne.
155. L’écologie humaine implique aussi quelque chose de très profond :
la relation de la vie de l’être humain avec la loi morale inscrite dans
sa propre nature, relation nécessaire pour pouvoir créer un
environnement plus digne. Benoît XVI affirmait qu’il existe une
“écologie de l’homme” parce que « l’homme aussi possède une nature qu’il
doit respecter et qu’il ne peut manipuler à volonté ».[120]
Dans ce sens, il faut reconnaître que notre propre corps nous met en
relation directe avec l’environnement et avec les autres êtres vivants.
L’acceptation de son propre corps comme don de Dieu est nécessaire pour
accueillir et pour accepter le monde tout entier comme don du Père et
maison commune ; tandis qu’une logique de domination sur son propre
corps devient une logique, parfois subtile, de domination sur la
création. Apprendre à recevoir son propre corps, à en prendre soin et à
en respecter les significations, est essentiel pour une vraie écologie
humaine. La valorisation de son propre corps dans sa féminité ou dans sa
masculinité est aussi nécessaire pour pouvoir se reconnaître soi-même
dans la rencontre avec celui qui est différent. De cette manière, il est
possible d’accepter joyeusement le don spécifique de l’autre, homme ou
femme, œuvre du Dieu créateur, et de s’enrichir réciproquement. Par
conséquent, l’attitude qui prétend « effacer la différence sexuelle
parce qu’elle ne sait plus s’y confronter »[121], n’est pas saine.
IV. LE PRINCIPE DU BIEN COMMUN
156. L’écologie humaine est inséparable de la notion de bien commun,
un principe qui joue un rôle central et unificateur dans l’éthique
sociale. C’est « l’ensemble des conditions sociales qui permettent, tant
aux groupes qu’à chacun de leurs membres, d’atteindre leur perfection
d’une façon plus totale et plus aisée ».[122]
157. Le bien commun présuppose le respect de la personne humaine
comme telle, avec des droits fondamentaux et inaliénables ordonnés à son
développement intégral. Le bien commun exige aussi le bien-être social
et le développement des divers groupes intermédiaires, selon le principe
de subsidiarité. Parmi ceux-ci, la famille se distingue spécialement
comme cellule de base de la société. Finalement, le bien commun requiert
la paix sociale, c’est-à-dire la stabilité et la sécurité d’un certain
ordre, qui ne se réalise pas sans une attention particulière à la
justice distributive, dont la violation génère toujours la violence.
Toute la société – et en elle, d’une manière spéciale l’État, – a
l’obligation de défendre et de promouvoir le bien commun.
158. Dans les conditions actuelles de la société mondiale, où il y a
tant d’inégalités et où sont toujours plus nombreuses les personnes
marginalisées, privées des droits humains fondamentaux, le principe du
bien commun devient immédiatement comme conséquence logique et
inéluctable, un appel à la solidarité et à une option préférentielle
pour les plus pauvres. Cette option implique de tirer les conséquences
de la destination commune des biens de la terre, mais, comme j’ai essayé
de l’exprimer dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium,[123]
elle exige de considérer avant tout l’immense dignité du pauvre à la
lumière des convictions de foi les plus profondes. Il suffit de regarder
la réalité pour comprendre que cette option est aujourd’hui une
exigence éthique fondamentale pour la réalisation effective du bien
commun.
V. LA JUSTICE ENTRE GÉNÉRATIONS
159. La notion de bien commun inclut aussi les générations futures.
Les crises économiques internationales ont montré de façon crue les
effets nuisibles qu’entraîne la méconnaissance d’un destin commun, dont
ceux qui viennent derrière nous ne peuvent pas être exclus. On ne peut
plus parler de développement durable sans une solidarité
intergénérationnelle. Quand nous pensons à la situation dans laquelle
nous laissons la planète aux générations futures, nous entrons dans une
autre logique, celle du don gratuit que nous recevons et que nous
communiquons. Si la terre nous est donnée, nous ne pouvons plus penser
seulement selon un critère utilitariste d’efficacité et de productivité
pour le bénéfice individuel. Nous ne parlons pas d’une attitude
optionnelle, mais d’une question fondamentale de justice, puisque la
terre que nous recevons appartient aussi à ceux qui viendront. Les
Évêques du Portugal ont exhorté à assumer ce devoir de justice : «
L’environnement se situe dans la logique de la réception. C’est un prêt
que chaque génération reçoit et doit transmettre à la génération
suivante».[124] Une écologie intégrale possède cette vision ample.
160. Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui nous
succèdent, aux enfants qui grandissent ? Cette question ne concerne pas
seulement l’environnement de manière isolée, parce qu’on ne peut pas
poser la question de manière fragmentaire. Quand nous nous interrogeons
sur le monde que nous voulons laisser, nous parlons surtout de son
orientation générale, de son sens, de ses valeurs. Si cette question de
fond n’est pas prise en compte, je ne crois pas que nos préoccupations
écologiques puissent obtenir des effets significatifs. Mais si cette
question est posée avec courage, elle nous conduit inexorablement à
d’autres interrogations très directes : pour quoi passons-nous en ce
monde, pour quoi venons-nous à cette vie, pour quoi travaillons-nous et
luttons-nous, pour quoi cette terre a-t-elle besoin de nous ? C’est
pourquoi, il ne suffit plus de dire que nous devons nous préoccuper des
générations futures. Il est nécessaire de réaliser que ce qui est en
jeu, c’est notre propre dignité. Nous sommes, nous-mêmes, les premiers à
avoir intérêt à laisser une planète habitable à l’humanité qui nous
succédera. C’est un drame pour nous-mêmes, parce que cela met en crise
le sens de notre propre passage sur cette terre.
161. Les prévisions catastrophistes ne peuvent plus être considérées
avec mépris ni ironie. Nous pourrions laisser trop de décombres, de
déserts et de saletés aux prochaines générations. Le rythme de
consommation, de gaspillage et de détérioration de l’environnement a
dépassé les possibilités de la planète, à tel point que le style de vie
actuel, parce qu’il est insoutenable, peut seulement conduire à des
catastrophes, comme, de fait, cela arrive déjà périodiquement dans
diverses régions. L’atténuation des effets de l’actuel déséquilibre
dépend de ce que nous ferons dans l’immédiat, surtout si nous pensons à
la responsabilité que ceux qui devront supporter les pires conséquences
nous attribueront.
162. La difficulté de prendre au sérieux ce défi est en rapport avec
une détérioration éthique et culturelle, qui accompagne la détérioration
écologique. L’homme et la femme du monde post-moderne courent le risque
permanent de devenir profondément individualistes, et beaucoup de
problèmes sociaux sont liés à la vision égoïste actuelle axée sur
l’immédiateté, aux crises des liens familiaux et sociaux, aux
difficultés de la reconnaissance de l’autre. Bien des fois, il y a une
consommation des parents, immédiate et excessive, qui affecte leurs
enfants de plus en plus de difficultés pour acquérir une maison et pour
fonder une famille. En outre, notre incapacité à penser sérieusement aux
générations futures est liée à notre incapacité à élargir notre
conception des intérêts actuels et à penser à ceux qui demeurent exclus
du développement. Ne pensons pas seulement aux pauvres de l’avenir,
souvenons-nous déjà des pauvres d’aujourd’hui, qui ont peu d’années de
vie sur cette terre et ne peuvent pas continuer d’attendre. C’est
pourquoi, « au-delà d’une loyale solidarité intergénérationnelle,
l’urgente nécessité morale d’une solidarité intra-générationnelle renouvelée doit être réaffirmée ».[125]
CINQUIEME CHAPITRE
QUELQUES LIGNES D’ORIENTATION ET D’ACTION
163. J’ai cherché à analyser la situation actuelle de l’humanité,
tant dans les fissures qui s’observent sur la planète que nous habitons,
que dans les causes plus profondément humaines de la dégradation de
l’environnement. Bien que cette observation de la réalité nous montre
déjà en soi la nécessité d’un changement de direction, et nous suggère
certaines actions, essayons à présent de tracer les grandes lignes de
dialogue à même de nous aider à sortir de la spirale d’autodestruction
dans laquelle nous nous enfonçons.
I. LE DIALOGUE SUR L’ENVIRONNEMENT DANS LA POLITIQUE INTERNATIONALE
164. Depuis la moitié du siècle dernier, après avoir surmonté
beaucoup de difficultés, on a eu de plus en plus tendance à concevoir la
planète comme une patrie, et l’humanité comme un peuple qui habite une
maison commune. Que le monde soit interdépendant ne signifie pas
seulement comprendre que les conséquences préjudiciables des modes de
vie, de production et de consommation affectent tout le monde, mais
surtout faire en sorte que les solutions soient proposées dans une
perspective globale, et pas seulement pour défendre les intérêts de
certains pays. L’interdépendance nous oblige à penser à un monde unique, à un projet commun.
Mais la même intelligence que l’on déploie pour un impressionnant
développement technologique, ne parvient pas à trouver des formes
efficaces de gestion internationale pour résoudre les graves difficultés
environnementales et sociales. Pour affronter les problèmes de fond qui
ne peuvent pas être résolus par les actions de pays isolés, un
consensus mondial devient indispensable, qui conduirait, par exemple, à
programmer une agriculture durable et diversifiée, à développer des
formes d’énergies renouvelables et peu polluantes, à promouvoir un
meilleur rendement énergétique, une gestion plus adéquate des ressources
forestières et marines, à assurer l’accès à l’eau potable pour tous.
165. Nous savons que la technologie reposant sur les combustibles
fossiles très polluants – surtout le charbon, mais aussi le pétrole et,
dans une moindre mesure, le gaz – a besoin d’être remplacée,
progressivement et sans retard. Tant qu’il n’y aura pas un développement
conséquent des énergies renouvelables, développement qui devrait être
déjà en cours, il est légitime de choisir le moindre mal et de recourir à
des solutions transitoires. Cependant, on ne parvient pas, dans la
communauté internationale, à des accords suffisants sur la
responsabilité de ceux qui doivent supporter les coûts de la transition
énergétique. Ces dernières décennies, les questions d’environnement ont
généré un large débat public qui a fait grandir dans la société civile
des espaces pour de nombreux engagements et un généreux dévouement. La
politique et l’entreprise réagissent avec lenteur, loin d’être à la
hauteur des défis mondiaux. En ce sens, alors que l’humanité de l’époque
post-industrielle sera peut-être considérée comme l’une des plus
irresponsables de l’histoire, il faut espérer que l’humanité du début du
XXIème siècle pourra rester dans les mémoires pour avoir assumé avec générosité ses graves responsabilités.
166. Le mouvement écologique mondial a déjà fait un long parcours,
enrichi par les efforts de nombreuses organisations de la société
civile. Il n’est pas possible ici de les mentionner toutes, ni de
retracer l’histoire de leurs apports. Mais grâce à un fort engagement,
les questions environnementales ont été de plus en plus présentes dans
l’agenda public et sont devenues une invitation constante à penser à
long terme. Cependant, les Sommets mondiaux de ces dernières années sur
l’environnement n’ont pas répondu aux attentes parce que, par manque de
décision politique, ils ne sont pas parvenus à des accords généraux,
vraiment significatifs et efficaces, sur l’environnement.
167. Il convient de mettre l’accent sur le Sommet planète Terre,
réuni en 1992 à Rio de Janeiro. Il y a été proclamé que « les êtres
humains sont au centre des préoccupations relatives au développement
durable».[126]
Reprenant des éléments de la Déclaration de Stockholm (1972), il a
consacré la coopération internationale pour préserver l’écosystème de la
terre entière, l’obligation pour celui qui pollue d’en assumer
économiquement la charge, le devoir d’évaluer l’impact sur
l’environnement de toute entreprise ou projet. Il a proposé comme
objectif de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans
l’atmosphère pour inverser la tendance au réchauffement global. Il a
également élaboré un agenda avec un programme d’action et un accord sur
la diversité biologique, il a déclaré des principes en matière de
forêts. Même si ce Sommet a vraiment été innovateur et prophétique pour
son époque, les accords n’ont été que peu mis en œuvre parce qu’aucun
mécanisme adéquat de contrôle, de révision périodique et de sanction en
cas de manquement, n’avait été établi. Les principes énoncés demandent
encore des moyens, efficaces et souples, de mise en œuvre pratique.
168. Parmi les expériences positives, on peut mentionner, par
exemple, la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements
transfrontaliers de déchets dangereux et leur élimination, avec un
système de déclaration, de standards et de contrôles ; on peut citer
également la Convention sur le commerce international des espèces de
faune et de flore sauvages menacées d’extinction, qui inclut des
missions de vérification de son respect effectif. Grâce à la Convention
de Vienne pour la protection de la couche d’ozone, et sa mise en œuvre à
travers le Protocole de Montréal et ses amendements, le problème de
l’amincissement de cette couche semble être entré dans une phase de
solution.
169. Pour ce qui est de la protection de la diversité biologique et
en ce qui concerne la désertification, les avancées ont été beaucoup
moins significatives. S’agissant du changement climatique, les avancées
sont hélas très médiocres. La réduction des gaz à effet de serre exige
honnêteté, courage et responsabilité, surtout de la part des pays les
plus puissants et les plus polluants. La Conférence des Nations Unies
sur le développement durable, dénommée Rio+20 (Rio de Janeiro 2012), a
émis un long et inefficace Document final. Les négociations
internationales ne peuvent pas avancer de manière significative en
raison de la position des pays qui mettent leurs intérêts nationaux au
dessus du bien commun général. Ceux qui souffriront des conséquences que
nous tentons de dissimuler rappelleront ce manque de conscience et de
responsabilité. Alors que se préparait cette Encyclique, le débat a
atteint une intensité particulière. Nous, les croyants, nous ne pouvons
pas cesser de demander à Dieu qu’il y ait des avancées positives dans
les discussions actuelles, de manière à ce que les générations futures
ne souffrent pas des conséquences d’ajournements imprudents.
170. Certaines des stratégies de basse émission de gaz polluants
cherchent l’internationalisation des coûts environnementaux, avec le
risque d’imposer aux pays de moindres ressources de lourds engagements
de réduction des émissions, comparables à ceux des pays les plus
industrialisés. L’imposition de ces mesures porte préjudice aux pays qui
ont le plus besoin de développement. Une nouvelle injustice est ainsi
ajoutée sous couvert de protection de l’environnement. Comme toujours,
le fil est rompu à son point le plus faible. Étant donné que les effets
du changement climatique se feront sentir pendant longtemps, même si des
mesures strictes sont prises maintenant, certains pays aux maigres
ressources auront besoin d’aide pour s’adapter aux effets qui déjà se
produisent et qui affectent leurs économies. Il reste vrai qu’il y a des
responsabilités communes mais différenciées, simplement parce que,
comme l’ont relevé les Évêques de Bolivie, « les pays qui ont bénéficié
d’un degré élevé d’industrialisation, au prix d’une énorme émission de
gaz à effet de serre, ont une plus grande responsabilité dans l’apport
de la solution aux problèmes qu’ils ont causés ».[127]
171. La stratégie d’achat et de vente de “crédits de carbone” peut
donner lieu à une nouvelle forme de spéculation, et cela ne servirait
pas à réduire l’émission globale des gaz polluants. Ce système semble
être une solution rapide et facile, sous l’apparence d’un certain
engagement pour l’environnement, mais qui n’implique, en aucune manière,
de changement radical à la hauteur des circonstances. Au contraire, il
peut devenir un expédient qui permet de soutenir la sur-consommation de
certains pays et secteurs.
172. Les pays pauvres doivent avoir comme priorité l’éradication de
la misère et le développement social de leurs habitants ; bien qu’ils
doivent analyser le niveau de consommation scandaleux de certains
secteurs privilégiés de leur population et contrôler la corruption. Il
est vrai aussi qu’ils doivent développer des formes moins polluantes de
production d’énergie, mais pour cela ils doivent pouvoir compter sur
l’aide des pays qui ont connu une forte croissance au prix de la
pollution actuelle de la planète. L’exploitation directe de l’abondante
énergie solaire demande que des mécanismes et des subsides soient
établis, de sorte que les pays en développement puissent accéder au
transfert de technologies, à l’assistance technique, et aux ressources
financières, mais toujours en faisant attention aux conditions
concrètes, puisque « on n’évalue pas toujours de manière adéquate la
compatibilité des infrastructures avec le contexte pour lequel elles ont
été conçues ».[128]
Les coûts seraient faibles si on les comparait aux risques du
changement climatique. De toute manière, c’est avant tout une décision
éthique, fondée sur la solidarité entre tous les peuples.
173. Étant donnée la fragilité des instances locales, des accords
internationaux sont urgents, qui soient respectés pour intervenir de
manière efficace. Les relations entre les États doivent sauvegarder la
souveraineté de chacun, mais aussi établir des chemins consensuels pour
éviter des catastrophes locales qui finiraient par toucher tout le
monde. Il manque de cadres régulateurs généraux qui imposent des
obligations, et qui empêchent des agissements intolérables, comme le
fait que certains pays puissants transfèrent dans d’autres pays des
déchets et des industries hautement polluants.
174. Mentionnons aussi le système de gestion des océans. En effet,
même s’il y a eu plusieurs conventions internationales et régionales,
l’éparpillement et l’absence de mécanismes sévères de réglementation, de
contrôle et de sanction finissent par miner tous les efforts. Le
problème croissant des déchets marins et de la protection des zones
marines au-delà des frontières nationales continue de représenter un
défi particulier. En définitive, il faut un accord sur les régimes de
gestion, pour toute la gamme de ce qu’on appelle les “biens communs
globaux”.
175. La même logique qui entrave la prise de décisions drastiques
pour inverser la tendance au réchauffement global, ne permet pas non
plus d’atteindre l’objectif d’éradiquer la pauvreté. Il faut une
réaction globale plus responsable, qui implique en même temps la lutte
pour la réduction de la pollution et le développement des pays et des
régions pauvres. Le XXIème siècle, alors qu’il maintient un
système de gouvernement propre aux époques passées, est le théâtre d’un
affaiblissement du pouvoir des États nationaux, surtout parce que la
dimension économique et financière, de caractère transnational, tend à
prédominer sur la politique. Dans ce contexte, la maturation
d’institutions internationales devient indispensable, qui doivent être
plus fortes et efficacement organisées, avec des autorités désignées
équitablement par accord entre les gouvernements nationaux, et dotées de
pouvoir pour sanctionner. Comme l’a affirmé Benoît XVI dans la ligne
déjà développée par la doctrine sociale de l’Eglise : « Pour le
gouvernement de l’économie mondiale, pour assainir les économies
frappées par la crise, pour prévenir son aggravation et de plus grands
déséquilibres, pour procéder à un souhaitable désarmement intégral, pour
arriver à la sécurité alimentaire et à la paix, pour assurer la
protection de l’environnement et pour réguler les flux migratoires, il
est urgent que soit mise en place une véritable Autorité politique mondiale telle qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur, [saint] Jean XXIII».[129]
Dans cette perspective, la diplomatie acquiert une importance inédite,
en vue de promouvoir des stratégies internationales anticipant les
problèmes plus graves qui finissent par affecter chacun.
II. LE DIALOGUE EN VUE DE NOUVELLES POLITIQUES NATIONALES ET LOCALES
176. Non seulement il y a des gagnants et des perdants entre les
pays, mais aussi entre les pays pauvres, où diverses responsabilités
doivent être identifiées. Pour cela, les questions concernant
l’environnement et le développement économique ne peuvent plus se poser
seulement à partir des différences entre pays, mais demandent qu’on
prête attention aux politiques nationales et locales.
177. Face à la possibilité d’une utilisation irresponsable des
capacités humaines, planifier, coordonner, veiller, et sanctionner sont
des fonctions impératives de chaque État. Comment la société
prépare-t-elle et protège-t-elle son avenir dans un contexte de
constantes innovations technologiques ? Le droit, qui établit les règles
des comportements acceptables à la lumière du bien commun, est un
facteur qui fonctionne comme un modérateur important. Les limites qu’une
société saine, mature et souveraine doit imposer sont liées à la
prévision, à la précaution, aux régulations adéquates, à la vigilance
dans l’application des normes, à la lutte contre la corruption, aux
actions de contrôle opérationnel sur les effets émergents non désirés
des processus productifs, et à l’intervention opportune face aux risques
incertains ou potentiels. Il y a une jurisprudence croissante visant à
diminuer les effets polluants des activités des entreprises. Mais le
cadre politique et institutionnel n’est pas là seulement pour éviter les
mauvaises pratiques, mais aussi pour encourager les bonnes pratiques,
pour stimuler la créativité qui cherche de nouvelles voies, pour
faciliter les initiatives personnelles et collectives.
178. Le drame de l’"immédiateté" politique, soutenue aussi par des
populations consuméristes, conduit à la nécessité de produire de la
croissance à court terme. Répondant à des intérêts électoraux, les
gouvernements ne prennent pas facilement le risque de mécontenter la
population avec des mesures qui peuvent affecter le niveau de
consommation ou mettre en péril des investissements étrangers. La myopie
de la logique du pouvoir ralentit l’intégration de l’agenda
environnemental aux vues larges, dans l’agenda public des gouvernements.
On oublie ainsi que « le temps est supérieur à l’espace»,[130]
que nous sommes toujours plus féconds quand nous nous préoccupons plus
d’élaborer des processus que de nous emparer des espaces de pouvoir. La
grandeur politique se révèle quand, dans les moments difficiles, on
œuvre pour les grands principes et en pensant au bien commun à long
terme. Il est très difficile pour le pouvoir politique d’assumer ce
devoir dans un projet de Nation.
179. En certains lieux, se développent des coopératives pour
l’exploitation d’énergies renouvelables, qui permettent l’auto
suffisance locale, et même la vente des excédents. Ce simple exemple
montre que l’instance locale peut faire la différence alors que l’ordre
mondial existant se révèle incapable de prendre ses responsabilités. En
effet, on peut à ce niveau susciter une plus grande responsabilité, un
fort sentiment communautaire, une capacité spéciale de protection et une
créativité plus généreuse, un amour profond pour sa terre ; là aussi,
on pense à ce qu’on laisse aux enfants et aux petits-enfants. Ces
valeurs ont un enracinement notable dans les populations aborigènes.
Étant donné que le droit se montre parfois insuffisant en raison de la
corruption, il faut que la décision politique soit incitée par la
pression de la population. La société, à travers des organismes non
gouvernementaux et des associations intermédiaires, doit obliger les
gouvernements à développer des normes, des procédures et des contrôles
plus rigoureux. Si les citoyens ne contrôlent pas le pouvoir politique –
national, régional et municipal – un contrôle des dommages sur
l’environnement n’est pas possible non plus. D’autre part, les
législations des municipalités peuvent être plus efficaces s’il y a des
accords entre populations voisines pour soutenir les mêmes politiques
environnementales.
180. On ne peut pas penser à des recettes uniformes, parce que chaque
pays ou région a des problèmes et des limites spécifiques. Il est aussi
vrai que le réalisme politique peut exiger des mesures et des
technologies de transition, à condition qu’elles soient toujours
accompagnées par le projet et par l’acceptation d’engagements
progressifs contraignants. Mais, tant au niveau national que local il
reste beaucoup à faire, comme, par exemple, promouvoir des formes
d’économies d’énergie. Ceci implique de favoriser des modes de
production industrielle ayant une efficacité énergétique maximale et
utilisant moins de matière première, retirant du marché les produits peu
efficaces du point de vue énergétique, ou plus polluants. On peut aussi
mentionner une bonne gestion des transports, ou des formes de
construction ou de réfection d’édifices qui réduisent leur consommation
énergétique et leur niveau de pollution. D’autre part, l’action
politique locale peut s’orienter vers la modification de la
consommation, le développement d’une économie des déchets et du
recyclage, la protection des espèces et la programmation d’une
agriculture diversifiée avec la rotation des cultures. Il est possible
d’encourager l’amélioration agricole de régions pauvres par les
investissements dans des infrastructures rurales, dans l’organisation du
marché local ou national, dans des systèmes d’irrigation, dans le
développement de techniques agricoles durables. On peut faciliter des
formes de coopération ou d’organisation communautaire qui défendent les
intérêts des petits producteurs et préservent les écosystèmes locaux de
la déprédation. Il y a tant de choses que l’on peut faire !
181. La continuité est indispensable parce que les politiques
relatives au changement climatique et à la sauvegarde de l’environnement
ne peuvent pas changer chaque fois que change un gouvernement. Les
résultats demandent beaucoup de temps et supposent des coûts immédiats,
avec des effets qui ne seront pas visibles au cours du mandat du
gouvernement concerné. C’est pourquoi sans la pression de la population
et des institutions, il y aura toujours de la résistance à intervenir,
plus encore quand il y aura des urgences à affronter. Qu’un homme
politique assume ces responsabilités avec les coûts que cela implique,
ne répond pas à la logique d’efficacité et d’immédiateté de l’économie
ni à celle de la politique actuelle ; mais s’il ose le faire, cela le
conduira à reconnaître la dignité que Dieu lui a donnée comme homme, et
il laissera dans l’histoire un témoignage de généreuse responsabilité.
Il faut accorder une place prépondérante à une saine politique, capable
de réformer les institutions, de les coordonner et de les doter de
meilleures pratiques qui permettent de vaincre les pressions et les
inerties vicieuses. Cependant, il faut ajouter que les meilleurs
mécanismes finissent par succomber quand manquent les grandes finalités,
les valeurs, une compréhension humaniste et riche de sens qui donnent à
chaque société une orientation noble et généreuse.
III. DIALOGUE ET TRANSPARENCE DANS LES PROCESSUS DE PRISE DE DÉCISIONS
182. La prévision de l’impact sur l’environnement des initiatives et
des projets requiert des processus politiques transparents et soumis au
dialogue, alors que la corruption, qui cache le véritable impact
environnemental d’un projet en échange de faveurs, conduit
habituellement à des accords fallacieux au sujet desquels on évite
information et large débat.
183. Une étude de l’impact sur l’environnement ne devrait pas être
postérieure à l’élaboration d’un projet de production ou d’une
quelconque politique, plan ou programme à réaliser. Il faut qu’elle soit
insérée dès le début, et élaborée de manière interdisciplinaire,
transparente et indépendante de toute pression économique ou politique.
Elle doit être en lien avec l’analyse des conditions de travail et
l’analyse des effets possibles, entre autres, sur la santé physique et
mentale des personnes, sur l’économie locale, sur la sécurité. Les
résultats économiques pourront être ainsi déduits de manière plus
réaliste, prenant en compte les scénarios possibles et prévoyant
éventuellement la nécessité d’un plus grand investissement pour
affronter les effets indésirables qui peuvent être corrigés. Il est
toujours nécessaire d’arriver à un consensus entre les différents
acteurs sociaux, qui peuvent offrir des points de vue, des solutions et
des alternatives différents. Mais à la table de discussion, les
habitants locaux doivent avoir une place privilégiée, eux qui se
demandent ce qu’ils veulent pour eux et pour leurs enfants, et qui
peuvent considérer les objectifs qui transcendent l’intérêt économique
immédiat. Il faut cesser de penser en terme d’“interventions” sur
l’environnement, pour élaborer des politiques conçues et discutées par
toutes les parties intéressées. La participation requiert que tous
soient convenablement informés sur les divers aspects ainsi que sur les
différents risques et possibilités ; elle ne se limite pas à la décision
initiale d’un projet, mais concerne aussi les actions de suivi et de
surveillance constante. La sincérité et la vérité sont nécessaires dans
les discussions scientifiques et politiques, qui ne doivent pas se
limiter à considérer ce qui est permis ou non par la législation.
184. Quand d’éventuels risques pour l’environnement, qui affectent le
bien commun, présent et futur, apparaissent, cette situation exige que «
les décisions soient fondées sur une confrontation entre les risques et
les bénéfices envisageables pour tout choix alternatif possible ».[131]
Cela vaut surtout si un projet peut entraîner un accroissement de
l’utilisation des ressources naturelles, des émissions ou des rejets, de
la production de déchets, ou une modification significative du paysage,
de l’habitat des espèces protégées, ou d’un espace public. Certains
projets qui ne sont pas suffisamment analysés peuvent affecter
profondément la qualité de vie dans un milieu pour des raisons très
diverses, comme une pollution acoustique non prévue, la réduction du
champ visuel, la perte de valeurs culturelles, les effets de
l’utilisation de l’énergie nucléaire. La culture consumériste, qui donne
priorité au court terme et à l’intérêt privé, peut encourager des
procédures trop rapides ou permettre la dissimulation d’information.
185. Dans toute discussion autour d’une initiative, une série de
questions devrait se poser en vue de discerner si elle offrira ou non un
véritable développement intégral : Pour quoi ? Par quoi ? Où ? Quand ?
De quelle manière ? Pour qui ? Quels sont les risques ? À quel coût ?
Qui paiera les coûts et comment le fera-t-il ? Dans ce discernement,
certaines questions doivent avoir la priorité. Par exemple, nous savons
que l’eau est une ressource limitée et indispensable, et y avoir accès
est un droit fondamental qui conditionne l’exercice des autres droits
humains. Ceci est indubitable et conditionne toute analyse de l’impact
environnemental d’une région.
186. Dans la Déclaration de Rio de 1992, il est affirmé : « En cas de
risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude
scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus
tard l’adoption de mesures effectives »[132]
qui empêcheraient la dégradation de l’environnement. Ce principe de
précaution permet la protection des plus faibles, qui disposent de peu
de moyens pour se défendre et pour apporter des preuves irréfutables. Si
l’information objective conduit à prévoir un dommage grave et
irréversible, bien qu’il n’y ait pas de preuve indiscutable, tout projet
devra être arrêté ou modifié. Ainsi, on inverse la charge de la preuve,
puisque dans ce cas il faut apporter une démonstration objective et
indiscutable que l’activité proposée ne va pas générer de graves
dommages à l’environnement ou à ceux qui y habitent.
187. Cela n’entraîne pas qu’il faille s’opposer à toute innovation
technologique qui permette d’améliorer la qualité de vie d’une
population. Mais, dans tous les cas, il doit toujours être bien établi
que la rentabilité ne peut pas être l’unique élément à prendre en compte
et que, au moment où apparaissent de nouveaux critères de jugement à
partir de l’évolution de l’information, il devrait y avoir une nouvelle
évaluation avec la participation de toutes les parties intéressées. Le
résultat de la discussion pourrait être la décision de ne pas avancer
dans un projet, mais pourrait être aussi sa modification ou
l’élaboration de propositions alternatives.
188. Dans certaines discussions sur des questions liées à
l’environnement, il est difficile de parvenir à un consensus. Encore une
fois je répète que l’Église n’a pas la prétention de juger des
questions scientifiques ni de se substituer à la politique, mais
j’invite à un débat honnête et transparent, pour que les besoins
particuliers ou les idéologies n’affectent pas le bien commun.
IV. POLITIQUE ET ÉCONOMIE EN DIALOGUE POUR LA PLÉNITUDE HUMAINE
189. La politique ne doit pas se soumettre à l’économie et celle-ci
ne doit pas se soumettre aux diktats ni au paradigme d’efficacité de la
technocratie. Aujourd’hui, en pensant au bien commun, nous avons
impérieusement besoin que la politique et l’économie, en dialogue, se
mettent résolument au service de la vie, spécialement de la vie humaine.
Sauver les banques à tout prix, en en faisant payer le prix à la
population, sans la ferme décision de revoir et de réformer le système
dans son ensemble, réaffirme une emprise absolue des finances qui n’a
pas d’avenir et qui pourra seulement générer de nouvelles crises après
une longue, couteuse et apparente guérison. La crise financière de
2007-2008 était une occasion pour le développement d’une nouvelle
économie plus attentive aux principes éthiques, et pour une nouvelle
régulation de l’activité financière spéculative et de la richesse
fictive. Mais il n’y a pas eu de réaction qui aurait conduit à repenser
les critères obsolètes qui continuent à régir le monde. La production
n’est pas toujours rationnelle, et souvent elle est liée à des variables
économiques qui fixent pour les produits une valeur qui ne correspond
pas à leur valeur réelle. Cela conduit souvent à la surproduction de
certaines marchandises, avec un impact inutile sur l’environnement qui,
en même temps, porte préjudice à de nombreuses économies régionales.[133]
La bulle financière est aussi, en général, une bulle productive. En
définitive, n’est pas affrontée avec énergie la question de l’économie
réelle, qui permet par exemple que la production se diversifie et
s’améliore, que les entreprises fonctionnent bien, que les petites et
moyennes entreprises se développent et créent des emplois.
190. Dans ce contexte, il faut toujours se rappeler que « la
protection de l’environnement ne peut pas être assurée uniquement en
fonction du calcul financier des coûts et des bénéfices. L’environnement
fait partie de ces biens que les mécanismes du marché ne sont pas en
mesure de défendre ou de promouvoir de façon adéquate ».[134]
Une fois de plus, il faut éviter une conception magique du marché qui
fait penser que les problèmes se résoudront tout seuls par
l’accroissement des bénéfices des entreprises ou des individus. Est-il
réaliste d’espérer que celui qui a l’obsession du bénéfice maximum
s’attarde à penser aux effets environnementaux qu’il laissera aux
prochaines générations ? Dans le schéma du gain il n’y a pas de place
pour penser aux rythmes de la nature, à ses périodes de dégradation et
de régénération, ni à la complexité des écosystèmes qui peuvent être
gravement altérés par l’intervention humaine. De plus, quand on parle de
biodiversité, on la conçoit au mieux comme une réserve de ressources
économiques qui pourrait être exploitée, mais on ne prend pas en compte
sérieusement, entre autres, la valeur réelle des choses, leur
signification pour les personnes et les cultures, les intérêts et les
nécessités des pauvres.
191. Quand on pose ces questions, certains réagissent en accusant les
autres de prétendre arrêter irrationnellement le progrès et le
développement humain. Mais nous devons nous convaincre que ralentir un
rythme déterminé de production et de consommation peut donner lieu à
d’autres formes de progrès et de développement. Les efforts pour une
exploitation durable des ressources naturelles ne sont pas une dépense
inutile, mais un investissement qui pourra générer d’autres bénéfices
économiques à moyen terme. Si nous ne souffrons pas d’étroitesse de vue,
nous pouvons découvrir que la diversification d’une production plus
innovante, et ce avec un moindre impact sur l’environnement, peut être
très rentable. Il s’agit d’ouvrir le chemin à différentes opportunités
qui n’impliquent pas d’arrêter la créativité de l’homme et son rêve de
progrès, mais d’orienter cette énergie vers des voies nouvelles.
192. Par exemple, un chemin de développement productif plus créatif
et mieux orienté pourrait corriger le fait qu’il y a un investissement
technologique excessif pour la consommation et faible pour résoudre les
problèmes en suspens de l’humanité ; il pourrait générer des formes
intelligentes et rentables de réutilisation, d’utilisation
multifonctionnelle et de recyclage ; il pourrait encore améliorer
l’efficacité énergétique des villes. La diversification de la production
ouvre d’immenses possibilités à l’intelligence humaine pour créer et
innover, en même temps qu’elle protège l’environnement et crée plus
d’emplois. Ce serait une créativité capable de faire fleurir de nouveau
la noblesse de l’être humain, parce qu’il est plus digne d’utiliser
l’intelligence, avec audace et responsabilité, pour trouver des formes
de développement durable et équitable, dans le cadre d’une conception
plus large de ce qu’est la qualité de vie. Inversement, il est moins
digne, il est superficiel et moins créatif de continuer à créer des
formes de pillage de la nature seulement pour offrir de nouvelles
possibilités de consommation et de gain immédiat.
193. De toute manière, si dans certains cas le développement durable
entraînera de nouvelles formes de croissance, dans d’autres cas, face à
l’accroissement vorace et irresponsable produit durant de nombreuses
décennies, il faudra penser aussi à marquer une pause en mettant
certaines limites raisonnables, voire à retourner en arrière avant qu’il
ne soit trop tard. Nous savons que le comportement de ceux qui
consomment et détruisent toujours davantage n’est pas soutenable, tandis
que d’autres ne peuvent pas vivre conformément à leur dignité humaine.
C’est pourquoi l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance
dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources
pour une saine croissance en d’autres parties. Benoît XVI affirmait qu’«
il est nécessaire que les sociétés technologiquement avancées soient
disposées à favoriser des comportements plus sobres, réduisant leurs
propres besoins d’énergie et améliorant les conditions de son
utilisation ».[135]
194. Pour que surgissent de nouveaux modèles de progrès nous devons « convertir le modèle de développement global»,[136]
ce qui implique de réfléchir de manière responsable « sur le sens de
l’économie et de ses objectifs, pour en corriger les dysfonctionnements
et les déséquilibres ».[137]
Il ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la protection de la
nature et le profit financier, ou la préservation de l’environnement et
le progrès. Sur ces questions, les justes milieux retardent seulement un
peu l’effondrement. Il s’agit simplement de redéfinir le progrès. Un
développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde
meilleur et une qualité de vie intégralement supérieure ne peut pas être
considéré comme un progrès. D’autre part, la qualité réelle de vie des
personnes diminue souvent – à cause de la détérioration de
l’environnement, de la mauvaise qualité des produits alimentaires
eux-mêmes ou de l’épuisement de certaines ressources – dans un contexte
de croissance économique. Dans ce cadre, le discours de la croissance
durable devient souvent un moyen de distraction et de justification qui
enferme les valeurs du discours écologique dans la logique des finances
et de la technocratie ; la responsabilité sociale et environnementale
des entreprises se réduit d’ordinaire à une série d’actions de marketing
et d’image.
195. Le principe de la maximalisation du gain, qui tend à s’isoler de
toute autre considération, est une distorsion conceptuelle de
l’économie : si la production augmente, il importe peu que cela se fasse
au prix des ressources futures ou de la santé de l’environnement ; si
l’exploitation d’une forêt fait augmenter la production, personne ne
mesure dans ce calcul la perte qu’implique la désertification du
territoire, le dommage causé à la biodiversité ou l’augmentation de la
pollution. Cela veut dire que les entreprises obtiennent des profits en
calculant et en payant une part infime des coûts. Seul pourrait être
considéré comme éthique un comportement dans lequel « les coûts
économiques et sociaux dérivant de l’usage des ressources naturelles
communes soient établis de façon transparente et soient entièrement
supportés par ceux qui en jouissent et non par les autres populations ou
par les générations futures ».[138]
La rationalité instrumentale, qui fait seulement une analyse statique
de la réalité en fonction des nécessités du moment, est présente aussi
bien quand c’est le marché qui assigne les ressources, que lorsqu’un
État planificateur le fait.
196. Qu’en est-il de la politique ? Rappelons le principe de
subsidiarité qui donne la liberté au développement des capacités
présentes à tous les niveaux, mais qui exige en même temps plus de
responsabilité pour le bien commun de la part de celui qui détient plus
de pouvoir. Il est vrai qu’aujourd’hui certains secteurs économiques
exercent davantage de pouvoir que les États eux-mêmes. Mais on ne peut
pas justifier une économie sans politique, qui serait incapable de
promouvoir une autre logique qui régisse les divers aspects de la crise
actuelle. La logique qui ne permet pas d’envisager une préoccupation
sincère pour l’environnement est la même qui empêche de nourrir le souci
d’intégrer les plus fragiles, parce que « dans le modèle actuel de
‘succès’ et de ‘droit privé’, il ne semble pas que cela ait un sens de
s’investir pour que ceux qui restent en arrière, les faibles ou les
moins pourvus, puissent se faire un chemin dans la vie ».[139]
197. Nous avons besoin d’une politique aux vues larges, qui suive une
approche globale en intégrant dans un dialogue interdisciplinaire les
divers aspects de la crise. Souvent la politique elle-même est
responsable de son propre discrédit, à cause de la corruption et du
manque de bonnes politiques publiques. Si l’État ne joue pas son rôle
dans une
région, certains groupes économiques peuvent apparaître comme des
bienfaiteurs et s’approprier le pouvoir réel, se sentant autorisés à ne
pas respecter certaines normes, jusqu’à donner lieu à diverses formes de
criminalité organisée, de traite de personnes, de narcotrafic, et de
violence, très difficiles à éradiquer. Si la politique n’est pas capable
de rompre une logique perverse, et de plus reste enfermée dans des
discours appauvris, nous continuerons à ne pas faire face aux grands
problèmes de l’humanité. Une stratégie de changement réel exige de
repenser la totalité des processus, puisqu’il ne suffit pas d’inclure
des considérations écologiques superficielles pendant qu’on ne remet pas
en cause la logique sous-jacente à la culture actuelle. Une saine
politique devrait être capable d’assumer ces défis.
198. La politique et l’économie ont tendance à s’accuser mutuellement
en ce qui concerne la pauvreté et la dégradation de l’environnement.
Mais il faut espérer qu’elles reconnaîtront leurs propres erreurs et
trouveront des formes d’interaction orientées vers le bien commun.
Pendant que les uns sont obnubilés uniquement par le profit économique
et que d’autres ont pour seule obsession la conservation ou
l’accroissement de leur pouvoir, ce que nous avons ce sont des guerres,
ou bien des accords fallacieux où préserver l’environnement et protéger
les plus faibles est ce qui intéresse le moins les deux parties. Là
aussi vaut le principe : « l’unité est supérieure au conflit ».[140]
V. LES RELIGIONS DANS LE DIALOGUE AVEC LES SCIENCES
199. On ne peut pas soutenir que les sciences empiriques expliquent
complètement la vie, la structure de toutes les créatures et la réalité
dans son ensemble. Cela serait outrepasser de façon indue leurs
frontières méthodologiques limitées. Si on réfléchit dans ce cadre
fermé, la sensibilité esthétique, la poésie, et même la capacité de la
raison à percevoir le sens et la finalité des choses disparaissent.[141]
Je veux rappeler que « les textes religieux classiques peuvent offrir
une signification pour toutes les époques, et ont une force de
motivation qui ouvre toujours de nouveaux horizons [...] Est-il
raisonnable et intelligent de les reléguer dans l’obscurité, seulement
du fait qu’ils proviennent d’un contexte de croyance religieuse ? ».[142]
En réalité, il est naïf de penser que les principes éthiques puissent
se présenter de manière purement abstraite, détachés de tout contexte,
et le fait qu’ils apparaissent dans un langage religieux ne les prive
pas de toute valeur dans le débat public. Les principes éthiques que la
raison est capable de percevoir peuvent réapparaître toujours de manière
différente et être exprimés dans des langages divers, y compris
religieux.
200. D’autre part, toute solution technique que les sciences
prétendent apporter sera incapable de résoudre les graves problèmes du
monde si l’humanité perd le cap, si l’on oublie les grandes motivations
qui rendent possibles la cohabitation, le sacrifice, la bonté. De toute
façon, il faudra inviter les croyants à être cohérents avec leur propre
foi et à ne pas la contredire par leurs actions ; il faudra leur
demander de s’ouvrir de nouveau à la grâce de Dieu et de puiser au plus
profond de leurs propres convictions sur l’amour, la justice et la paix.
Si une mauvaise compréhension de nos propres principes nous a parfois
conduits à justifier le mauvais traitement de la nature, la domination
despotique de l’être humain sur la création, ou les guerres, l’injustice
et la violence, nous, les croyants, nous pouvons reconnaître que nous
avons alors été infidèles au trésor de sagesse que nous devions garder.
Souvent les limites culturelles des diverses époques ont conditionné
cette conscience de leur propre héritage éthique et spirituel, mais
c’est précisément le retour à leurs sources qui permet aux religions de
mieux répondre aux nécessités actuelles.
201. La majorité des habitants de la planète se déclare croyante, et
cela devrait inciter les religions à entrer dans un dialogue en vue de
la sauvegarde de la nature, de la défense des pauvres, de la
construction de réseaux de respect et de fraternité. Un dialogue entre
les sciences elles-mêmes est aussi nécessaire parce que chacune a
l’habitude de s’enfermer dans les limites de son propre langage, et la
spécialisation a tendance à devenir isolement et absolutisation du
savoir de chacun. Cela empêche d’affronter convenablement les problèmes
de l’environnement. Un dialogue ouvert et respectueux devient aussi
nécessaire entre les différents mouvements écologistes, où les luttes
idéologiques ne manquent pas. La gravité de la crise écologique exige
que tous nous pensions au bien commun et avancions sur un chemin de
dialogue qui demande patience, ascèse et générosité, nous souvenant
toujours que « la réalité est supérieure à l’idée ».[143]
SIXIEME CHAPITRE
EDUCATION ET SPIRITUALITE ECOLOGIQUES
202. Beaucoup de choses doivent être réorientées, mais avant tout
l’humanité a besoin de changer. La conscience d’une origine commune,
d’une appartenance mutuelle et d’un avenir partagé par tous, est
nécessaire. Cette conscience fondamentale permettrait le développement
de nouvelles convictions, attitudes et formes de vie. Ainsi un grand
défi culturel, spirituel et éducatif, qui supposera de longs processus
de régénération, est mis en évidence.
I. MISER SUR UN AUTRE STYLE DE VIE
203. Étant donné que le marché tend à créer un mécanisme consumériste
compulsif pour placer ses produits, les personnes finissent par être
submergées, dans une spirale d’achats et de dépenses inutiles. Le
consumérisme obsessif est le reflet subjectif du paradigme
techno-économique. Il arrive ce que Romano Guardini signalait déjà :
l’être humain « accepte les choses usuelles et les formes de la vie
telles qu’elles lui sont imposées par les plans rationnels et les
produits normalisés de la machine et, dans l’ensemble, il le fait avec
l’impression que tout cela est raisonnable et juste ».[144]
Ce paradigme fait croire à tous qu’ils sont libres, tant qu’ils ont une
soi-disant liberté pour consommer, alors que ceux qui ont en réalité la
liberté, ce sont ceux qui constituent la minorité en possession du
pouvoir économique et financier. Dans cette équivoque, l’humanité
postmoderne n’a pas trouvé une nouvelle conception d’elle-même qui
puisse l’orienter, et ce manque d’identité est vécu avec angoisse. Nous
possédons trop de moyens pour des fins limitées et rachitiques.
204. La situation actuelle du monde « engendre un sentiment de
précarité et d’insécurité qui, à son tour, nourrit des formes d’égoïsme
collectif ».[145]
Quand les personnes deviennent autoréférentielles et s’isolent dans
leur propre conscience, elles accroissent leur voracité. En effet, plus
le cœur de la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à acheter, à
posséder et à consommer. Dans ce contexte, il ne semble pas possible
qu’une personne accepte que la réalité lui fixe des limites. À cet
horizon, un vrai bien commun n’existe pas non plus. Si c’est ce genre de
sujet qui tend à prédominer dans une société, les normes seront
seulement respectées dans la mesure où elles ne contredisent pas des
besoins personnels. C’est pourquoi nous ne pensons pas seulement à
l’éventualité de terribles phénomènes climatiques ou à de grands
désastres naturels, mais aussi aux catastrophes dérivant de crises
sociales, parce que l’obsession d’un style de vie consumériste ne pourra
que provoquer violence et destruction réciproque, surtout quand seul un
petit nombre peut se le permettre.
205. Cependant, tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains,
capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter
de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les
conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose. Ils sont capables
de se regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler au grand jour leur
propre dégoût et d’initier de nouveaux chemins vers la vraie liberté. Il
n’y a pas de systèmes qui annulent complètement l’ouverture au bien, à
la vérité et à la beauté, ni la capacité de réaction que Dieu continue
d’encourager du plus profond des cœurs humains. Je demande à chaque
personne de ce monde de ne pas oublier sa dignité que nul n’a le droit
de lui enlever.
206. Un changement dans les styles de vie pourrait réussir à exercer
une pression saine sur ceux qui détiennent le pouvoir politique,
économique et social. C’est ce qui arrive quand les mouvements de
consommateurs obtiennent qu’on n’achète plus certains produits, et
deviennent ainsi efficaces pour modifier le comportement des
entreprises, en les forçant à considérer l’impact environnemental et les
modèles de production. C’est un fait, quand les habitudes de la société
affectent le gain des entreprises, celles-ci se trouvent contraintes à
produire autrement. Cela nous rappelle la responsabilité sociale des
consommateurs : « Acheter est non seulement un acte économique mais
toujours aussi un acte moral ».[146] C’est pourquoi, aujourd’hui « le thème de la dégradation environnementale met en cause les comportements de chacun de nous ».[147]
207. La Charte de la Terre nous invitait tous à tourner le dos à une
étape d’autodestruction et à prendre un nouveau départ, mais nous
n’avons pas encore développé une conscience universelle qui le rende
possible. Voilà pourquoi j’ose proposer de nouveau ce beau défi : “Comme
jamais auparavant dans l’histoire, notre destin commun nous invite à
chercher un nouveau commencement [...] Faisons en sorte que notre époque
soit reconnue dans l’histoire comme celle de l’éveil d’une nouvelle
forme d’hommage à la vie, d’une ferme résolution d’atteindre la
durabilité, de l’accélération de la lutte pour la justice et la paix et
de l’heureuse célébration de la vie”.[148]
208. Il est toujours possible de développer à nouveau la capacité de
sortir de soi vers l’autre. Sans elle, on ne reconnaît pas la valeur
propre des autres créatures, on ne se préoccupe pas de protéger quelque
chose pour les autres, on n’a pas la capacité de se fixer des limites
pour éviter la souffrance ou la détérioration de ce qui nous entoure.
L’attitude fondamentale de se transcender, en rompant avec l’isolement
de la conscience et l’autoréférentialité, est la racine qui permet toute
attention aux autres et à l’environnement, et qui fait naître la
réaction morale de prendre en compte l’impact que chaque action et
chaque décision personnelle provoquent hors de soi-même. Quand nous
sommes capables de dépasser l’individualisme, un autre style de vie peut
réellement se développer et un changement important devient possible
dans la société.
II. ÉDUCATION POUR L’ALLIANCE ENTRE L’HUMANITÉ ET L’ENVIRONNEMENT
209. La conscience de la gravité de la crise culturelle et écologique
doit se traduire par de nouvelles habitudes. Beaucoup savent que le
progrès actuel, tout comme la simple accumulation d’objets ou de
plaisirs, ne suffit pas à donner un sens ni de la joie au cœur humain,
mais ils ne se sentent pas capables de renoncer à ce que le marché leur
offre. Dans les pays qui devraient réaliser les plus grands changements
d’habitudes de consommation, les jeunes ont une nouvelle sensibilité
écologique et un esprit généreux, et certains d’entre eux luttent
admirablement pour la défense de l’environnement ; mais ils ont grandi
dans un contexte de très grande consommation et de bien-être qui rend
difficile le développement d’autres habitudes. C’est pourquoi nous
sommes devant un défi éducatif.
210. L’éducation environnementale a progressivement élargi le champ
de ses objectifs. Si au commencement elle était très axée sur
l’information scientifique ainsi que sur la sensibilisation et la
prévention de risques environnementaux, à présent cette éducation tend à
inclure une critique des “mythes” de la modernité (individualisme,
progrès indéfini, concurrence, consumérisme, marché sans règles), fondés
sur la raison instrumentale ; elle tend également à s’étendre aux
différents niveaux de l’équilibre écologique : au niveau interne avec
soi-même, au niveau solidaire avec les autres, au niveau naturel avec
tous les êtres vivants, au niveau spirituel avec Dieu. L’éducation
environnementale devrait nous disposer à faire ce saut vers le Mystère, à
partir duquel une éthique écologique acquiert son sens le plus profond.
Par ailleurs, des éducateurs sont capables de repenser les itinéraires
pédagogiques d’une éthique écologique, de manière à faire grandir
effectivement dans la solidarité, dans la responsabilité et dans la
protection fondée sur la compassion.
211. Cependant, cette éducation ayant pour vocation de créer une
“citoyenneté écologique” se limite parfois à informer, et ne réussit pas
à développer des habitudes. L’existence de lois et de normes n’est pas
suffisante à long terme pour limiter les mauvais comportements, même si
un contrôle effectif existe. Pour que la norme juridique produise des
effets importants et durables, il est nécessaire que la plupart des
membres de la société l’aient acceptée grâce à des motivations
appropriées, et réagissent à partir d’un changement personnel. C’est
seulement en cultivant de solides vertus que le don de soi dans un
engagement écologique est possible. Si une personne a l’habitude de se
couvrir un peu au lieu d’allumer le chauffage, alors que sa situation
économique lui permettrait de consommer et de dépenser plus, cela
suppose qu’elle a intégré des convictions et des sentiments favorables à
la préservation de l’environnement. Accomplir le devoir de sauvegarder
la création par de petites actions quotidiennes est très noble, et il
est merveilleux que l’éducation soit capable de les susciter jusqu’à en
faire un style de vie. L’éducation à la responsabilité environnementale
peut encourager divers comportements qui ont une incidence directe et
importante sur la préservation de l’environnement tels que : éviter
l’usage de matière plastique et de papier, réduire la consommation
d’eau, trier les déchets, cuisiner seulement ce que l’on pourra
raisonnablement manger, traiter avec attention les autres êtres vivants,
utiliser les transports publics ou partager le même véhicule entre
plusieurs personnes, planter des arbres, éteindre les lumières inutiles.
Tout cela fait partie d’une créativité généreuse et digne, qui révèle
le meilleur de l’être humain. Le fait de réutiliser quelque chose au
lieu de le jeter rapidement, parce qu’on est animé par de profondes
motivations, peut être un acte d’amour exprimant notre dignité.
212. Il ne faut pas penser que ces efforts ne vont pas changer le
monde. Ces actions répandent dans la société un bien qui produit
toujours des fruits au-delà de ce que l’on peut constater, parce
qu’elles suscitent sur cette terre un bien qui tend à se répandre
toujours, parfois de façon invisible. En outre, le développement de ces
comportements nous redonne le sentiment de notre propre dignité, il nous
porte à une plus grande profondeur de vie, il nous permet de faire
l’expérience du fait qu’il vaut la peine de passer en ce monde.
213. Les milieux éducatifs sont divers : l’école, la famille, les
moyens de communication, la catéchèse et autres. Une bonne éducation
scolaire, dès le plus jeune âge, sème des graines qui peuvent produire
des effets tout au long d’une vie. Mais je veux souligner l’importance
centrale de la famille, parce qu’« elle est le lieu où la vie, don de
Dieu, peut être convenablement accueillie et protégée contre les
nombreuses attaques auxquelles elle est exposée, le lieu où elle peut se
développer suivant les exigences d’une croissance humaine authentique.
Contre ce qu’on appelle la culture de la mort, la famille constitue le
lieu de la culture de la vie ».[149]
Dans la famille, on cultive les premiers réflexes d’amour et de
préservation de la vie, comme par exemple l’utilisation correcte des
choses, l’ordre et la propreté, le respect pour l’écosystème local et la
protection de tous les êtres créés. La famille est le lieu de la
formation intégrale, où se déroulent les différents aspects, intimement
reliés entre eux, de la maturation personnelle. Dans la famille, on
apprend à demander une permission avec respect, à dire “merci” comme
expression d’une juste évaluation des choses qu’on reçoit, à dominer
l’agressivité ou la voracité, et à demander pardon quand on cause un
dommage. Ces petits gestes de sincère courtoisie aident à construire une
culture de la vie partagée et du respect pour ce qui nous entoure.
214. Un effort de sensibilisation de la population incombe à la
politique et aux diverses associations. À l’Église également. Toutes les
communautés chrétiennes ont un rôle important à jouer dans cette
éducation. J’espère aussi que dans nos séminaires et maisons religieuses
de formation, on éduque à une austérité responsable, à la contemplation
reconnaissante du monde, à la protection de la fragilité des pauvres et
de l’environnement. Étant donné l’importance de ce qui est en jeu, de
même que des institutions dotées de pouvoir sont nécessaires pour
sanctionner les attaques à l’environnement, nous avons aussi besoin de
nous contrôler et de nous éduquer les uns les autres.
215. Dans ce contexte, « il ne faut pas négliger la relation qui
existe entre une formation esthétique appropriée et la préservation de
l’environnement».[150]
Prêter attention à la beauté, et l’aimer, nous aide à sortir du
pragmatisme utilitariste. Quand quelqu’un n’apprend pas à s’arrêter pour
observer et pour évaluer ce qui est beau, il n’est pas étonnant que
tout devienne pour lui objet d’usage et d’abus sans scrupule. En même
temps, si l’on veut obtenir des changements profonds, il faut garder
présent à l’esprit que les paradigmes de la pensée influent réellement
sur les comportements.
L’éducation sera inefficace, et ses efforts seront vains, si elle
n’essaie pas aussi de répandre un nouveau paradigme concernant l’être
humain, la vie, la société et la relation avec la nature. Autrement, le
paradigme consumériste, transmis par les moyens de communication sociale
et les engrenages efficaces du marché, continuera de progresser.
III. LA CONVERSION ÉCOLOGIQUE
216. La grande richesse de la spiritualité chrétienne, générée par
vingt siècles d’expériences personnelles et communautaires, offre une
belle contribution à la tentative de renouveler l’humanité. Je veux
proposer aux chrétiens quelques lignes d’une spiritualité écologique qui
trouvent leur origine dans des convictions de notre foi, car ce que
nous enseigne l’Évangile a des conséquences sur notre façon de penser,
de sentir et de vivre. Il ne s’agit pas de parler tant d’idées, mais
surtout de motivations qui naissent de la spiritualité pour alimenter la
passion de la préservation du monde. Il ne sera pas possible, en effet,
de s’engager dans de grandes choses seulement avec des doctrines, sans
une mystique qui nous anime, sans « les mobiles intérieurs qui poussent,
motivent, encouragent et donnent sens à l’action personnelle et
communautaire».[151]
Nous devons reconnaître que, nous les chrétiens, nous n’avons pas
toujours recueilli et développé les richesses que Dieu a données à
l’Église, où la spiritualité n’est déconnectée ni de notre propre corps,
ni de la nature, ni des réalités de ce monde ; la spiritualité se vit
plutôt avec celles-ci et en elles, en communion avec tout ce qui nous
entoure.
217. S’il est vrai que « les déserts extérieurs se multiplient dans
notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands
»,[152]
la crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure.
Mais nous devons aussi reconnaître que certains chrétiens, engagés et
qui prient, ont l’habitude de se moquer des préoccupations pour
l’environnement, avec l’excuse du réalisme et du pragmatisme. D’autres
sont passifs, ils ne se décident pas à changer leurs habitudes et ils
deviennent incohérents. Ils ont donc besoin d’une conversion écologique,
qui implique de laisser jaillir toutes les conséquences de leur
rencontre avec Jésus-Christ sur les relations avec le monde qui les
entoure. Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une
part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque
chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne.
218. Pour proposer une relation saine avec la création comme
dimension de la conversion intégrale de la personne, souvenons-nous du
modèle de saint François d’Assise. Cela implique aussi de reconnaître
ses propres erreurs, péchés, vices ou négligences, et de se repentir de
tout cœur, de changer intérieurement. Les Évêques australiens ont su
exprimer la conversion en termes de réconciliation avec la création :
« Pour réaliser cette réconciliation, nous devons examiner nos vies et
reconnaître de quelle façon nous offensons la création de Dieu par nos
actions et notre incapacité d’agir. Nous devons faire l’expérience d’une
conversion, d’un changement du cœur ».[153]
219. Cependant, il ne suffit pas que chacun s’amende pour dénouer une
situation aussi complexe que celle qu’affronte le monde actuel. Les
individus isolés peuvent perdre leur capacité, ainsi que leur liberté
pour surmonter la logique de la raison instrumentale, et finir par être à
la merci d’un consumérisme sans éthique et sans dimension sociale ni
environnementale. On répond aux problèmes sociaux par des réseaux
communautaires, non par la simple somme de biens individuels : « Les
exigences de cette œuvre seront si immenses que les possibilités de
l’initiative individuelle et la coopération d’hommes formés selon les
principes individualistes ne pourront y répondre. Seule une autre
attitude provoquera l’union des forces et l’unité de réalisation
nécessaires ».[154] La conversion écologique requise pour créer un dynamisme de changement durable est aussi une conversion communautaire.
220. Cette conversion suppose diverses attitudes qui se conjuguent
pour promouvoir une protection généreuse et pleine de tendresse. En
premier lieu, elle implique gratitude et gratuité, c’est-à-dire une
reconnaissance du monde comme don reçu de l’amour du Père, ce qui a pour
conséquence des attitudes gratuites de renoncement et des attitudes
généreuses même si personne ne les voit ou ne les reconnaît : « Que ta
main gauche ignore ce que fait ta main droite [...] et ton Père qui voit
dans le secret, te le rendra » (Mt 6, 3-4). Cette conversion
implique aussi la conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des
autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle
communion universelle. Pour le croyant, le monde ne se contemple pas de
l’extérieur mais de l’intérieur, en reconnaissant les liens par
lesquels le Père nous a unis à tous les êtres. En outre, en faisant
croître les capacités spécifiques que Dieu lui a données, la conversion
écologique conduit le croyant à développer sa créativité et son
enthousiasme, pour affronter les drames du monde en s’offrant à Dieu «
comme un sacrifice vivant, saint et agréable » (Bm 12, 1). Il ne
comprend pas sa supériorité comme motif de gloire personnelle ou de
domination irresponsable, mais comme une capacité différente, lui
imposant à son tour une grave responsabilité qui naît de sa foi.
221. Diverses convictions de notre foi développées au début de cette
Encyclique, aident à enrichir le sens de cette conversion, comme la
conscience que chaque créature reflète quelque chose de Dieu et a un
message à nous enseigner ; ou encore l’assurance que le Christ a assumé
en lui-même ce monde matériel et qu’à présent,
ressuscité, il habite au fond de chaque être, en l’entourant de son
affection comme en le pénétrant de sa lumière ; et aussi la conviction
que Dieu a créé le monde en y inscrivant un ordre et un dynamisme que
l’être humain n’a pas le droit d’ignorer. Quand on lit dans l’Évangile
que Jésus parle des oiseaux, et dit qu’ « aucun d’eux n’est oublié au
regard de Dieu » (Lc 12, 6) : pourra-t-on encore les maltraiter
ou leur faire du mal ? J’invite tous les chrétiens à expliciter cette
dimension de leur conversion, en permettant que la force et la lumière
de la grâce reçue s’étendent aussi à leur relation avec les autres
créatures ainsi qu’avec le monde qui les entoure, et suscitent cette
fraternité sublime avec toute la création, que saint François d’Assise a
vécue d’une manière si lumineuse.
IV. JOIE ET PAIX
222. La spiritualité chrétienne propose une autre manière de
comprendre la qualité de vie, et encourage un style de vie prophétique
et contemplatif, capable d’aider à apprécier profondément les choses
sans être obsédé par la consommation. Il est important d’assimiler un
vieil enseignement, présent dans diverses traditions religieuses, et
aussi dans la Bible. Il s’agit de la conviction que “moins est plus”. En
effet, l’accumulation constante de possibilités de consommer distrait
le cœur et empêche d’évaluer chaque chose et chaque moment. En revanche,
le fait d’être sereinement présent à chaque réalité, aussi petite
soit-elle, nous ouvre beaucoup plus de possibilités de compréhension et
d’épanouissement personnel. La spiritualité chrétienne propose une
croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu. C’est un
retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce
qui est petit, pour remercier des possibilités que la vie offre, sans
nous attacher à ce que nous avons ni nous attrister de ce que nous ne
possédons pas. Cela suppose d’éviter la dynamique de la domination et de
la simple accumulation de plaisirs.
223. La sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière
consciente, est libératrice. Ce n’est pas moins de vie, ce n’est pas une
basse intensité de vie mais tout le contraire ; car, en réalité ceux
qui jouissent plus et vivent mieux chaque moment, sont ceux qui cessent
de picorer ici et là en cherchant toujours ce qu’ils n’ont pas, et qui
font l’expérience de ce qu’est valoriser chaque personne et chaque
chose, en apprenant à entrer en contact et en sachant jouir des choses
les plus simples. Ils ont ainsi moins de besoins insatisfaits, et sont
moins fatigués et moins tourmentés. On peut vivre intensément avec peu,
surtout quand on est capable d’apprécier d’autres plaisirs et qu’on
trouve satisfaction dans les rencontres fraternelles, dans le service,
dans le déploiement de ses charismes, dans la musique et l’art, dans le
contact avec la nature, dans la prière. Le bonheur requiert de savoir
limiter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi
disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie.
224. La sobriété et l’humilité n’ont pas bénéficié d’un regard
positif au cours du siècle dernier. Mais quand l’exercice d’une vertu
s’affaiblit d’une manière généralisée dans la vie personnelle et
sociale, cela finit par provoquer des déséquilibres multiples, y compris
des déséquilibres environnementaux. C’est pourquoi, il ne suffit plus
de parler seulement de l’intégrité des écosystèmes. Il faut oser parler
de l’intégrité de la vie humaine, de la nécessité d’encourager et de
conjuguer toutes les grandes valeurs. La disparition de l’humilité chez
un être humain, enthousiasmé malheureusement par la possibilité de tout
dominer sans aucune limite, ne peut que finir par porter préjudice à la
société et à l’environnement. Il n’est pas facile de développer cette
saine humilité ni une sobriété heureuse si nous nous rendons autonomes,
si nous excluons Dieu de notre vie et que notre moi prend sa place, si
nous croyons que c’est notre propre subjectivité qui détermine ce qui
est bien ou ce qui est mauvais.
225. Par ailleurs, aucune personne ne peut mûrir dans une sobriété
heureuse, sans être en paix avec elle-même. La juste compréhension de la
spiritualité consiste en partie à amplifier ce que nous entendons par
paix, qui est beaucoup plus que l’absence de guerre. La paix intérieure
des personnes tient, dans une large mesure, de la préservation de
l’écologie et du bien commun, parce que, authentiquement vécue, elle se
révèle dans un style de vie équilibré joint à une capacité d’admiration
qui mène à la profondeur de la vie. La nature est pleine de mots
d’amour, mais comment pourrons-nous les écouter au milieu du bruit
constant, de la distraction permanente et anxieuse, ou du culte de
l’apparence ? Beaucoup de personnes font l’expérience d’un profond
déséquilibre qui les pousse à faire les choses à toute vitesse pour se
sentir occupées, dans une hâte constante qui, à son tour, les amène à
renverser tout ce qu’il y a autour d’eux. Cela a un impact sur la
manière dont on traite l’environnement. Une écologie intégrale implique
de consacrer un peu de temps à retrouver l’harmonie sereine avec la
création, à réfléchir sur notre style de vie et sur nos idéaux, à
contempler le Créateur, qui vit parmi nous et dans ce qui nous entoure,
dont la présence « ne doit pas être fabriquée, mais découverte,
dévoilée».[155]
226. Nous parlons d’une attitude du cœur, qui vit tout avec une
attention sereine, qui sait être pleinement présent à quelqu’un sans
penser à ce qui vient après, qui se livre à tout moment comme un don
divin qui doit être pleinement vécu. Jésus nous enseignait cette
attitude quand il nous invitait à regarder les lys des champs et les
oiseaux du ciel, ou quand en présence d’un homme inquiet « il fixa sur
lui son regard et l’aima » (Mc 10, 21). Il était pleinement
présent à chaque être humain et à chaque créature, et il nous a ainsi
montré un chemin pour surmonter l’anxiété maladive qui nous rend
superficiels, agressifs et consommateurs effrénés.
227. S’arrêter pour rendre grâce à Dieu avant et après les repas est
une expression de cette attitude. Je propose aux croyants de renouer
avec cette belle habitude et de la vivre en profondeur. Ce moment de la
bénédiction, bien qu’il soit très bref, nous rappelle notre dépendance
de Dieu pour la vie, il fortifie notre sentiment de gratitude pour les
dons de la création, reconnaît ceux qui par leur travail fournissent ces
biens, et renforce la solidarité avec ceux qui sont le plus dans le
besoin.
V. AMOUR CIVIL ET POLITIQUE
228. La préservation de la nature fait partie d’un style de vie qui
implique une capacité de cohabitation et de communion. Jésus nous a
rappelé que nous avons Dieu comme Père commun, ce qui fait de nous des
frères. L’amour fraternel ne peut être que gratuit, il ne peut jamais
être une rétribution pour ce qu’un autre réalise ni une avance pour ce
que nous espérons qu’il fera. C’est pourquoi, il est possible d’aimer
les ennemis. Cette même gratuité nous amène à aimer et à accepter le
vent, le soleil ou les nuages, bien qu’ils ne se soumettent pas à notre
contrôle. Voilà pourquoi nous pouvons parler d’une fraternité universelle.
229. Il faut reprendre conscience que nous avons besoin les uns des
autres, que nous avons une responsabilité vis-à-vis des autres et du
monde, que cela vaut la peine d’être bons et honnêtes. Depuis trop
longtemps déjà, nous sommes dans la dégradation morale, en nous moquant
de l’éthique, de la bonté, de la foi, de l’honnêteté. L’heure est
arrivée de réaliser que cette joyeuse superficialité nous a peu servi.
Cette destruction de tout fondement de la vie sociale finit par nous
opposer les uns aux autres, chacun cherchant à préserver ses propres
intérêts ; elle provoque l’émergence de nouvelles formes de violence et
de cruauté, et empêche le développement d’une vraie culture de
protection de l’environnement.
230. L’exemple de sainte Thérèse de Lisieux nous invite à pratiquer
la petite voie de l’amour, à ne pas perdre l’occasion d’un mot aimable,
d’un sourire, de n’importe quel petit geste qui sème paix et amitié. Une
écologie intégrale est aussi faite de simples gestes quotidiens par
lesquels nous rompons la logique de la violence, de l’exploitation, de
l’égoïsme. En attendant, le monde de la consommation exacerbée est en
même temps le monde du mauvais traitement de la vie sous toutes ses
formes.
231. L’amour, fait de petits gestes d’attention mutuelle, est aussi
civil et politique, et il se manifeste dans toutes les actions qui
essaient de construire un monde meilleur. L’amour de la société et
l’engagement pour le bien commun sont une forme excellente de charité
qui, non seulement concerne les relations entre les individus mais aussi
les « macro-relations: rapports sociaux, économiques, politiques».[156] C’est pourquoi, l’Église a proposé au monde l’idéal d’une « civilisation de l’amour ».[157]
L’amour social est la clef d’un développement authentique : « Pour
rendre la société plus humaine, plus digne de la personne, il faut
revaloriser l’amour dans la vie sociale — au niveau politique,
économique, culturel —, en en faisant la norme constante et suprême de
l’action ».[158]
Dans ce cadre, joint à l’importance des petits gestes quotidiens,
l’amour social nous pousse à penser aux grandes stratégies à même
d’arrêter efficacement la dégradation de l’environnement et d’encourager
une culture de protection qui imprègne toute la société. Celui
qui reconnaît l’appel de Dieu à agir de concert avec les autres dans ces
dynamiques sociales doit se rappeler que cela fait partie de sa
spiritualité, que c’est un exercice de la charité, et que, de cette
façon, il mûrit et il se sanctifie.
232. Tout le monde n’est pas appelé à travailler directement en
politique ; mais au sein de la société germe une variété innombrable
d’associations qui interviennent en faveur du bien commun en préservant
l’environnement naturel et urbain. Par exemple, elles s’occupent d’un
lieu public (un édifice, une fontaine, un monument abandonné, un
paysage, une place) pour protéger, pour assainir, pour améliorer ou pour
embellir quelque chose qui appartient à tous. Autour d’elles, se
développent ou se reforment des liens, et un nouveau tissu social local
surgit. Une communauté se libère ainsi de l’indifférence consumériste.
Cela implique la culture d’une identité commune, d’une histoire qui se
conserve et se transmet. De cette façon, le monde et la qualité de vie
des plus pauvres sont préservés, grâce à un sens solidaire qui est en
même temps la conscience d’habiter une maison commune que Dieu nous a
prêtée. Ces actions communautaires, quand elles expriment un amour qui
se livre, peuvent devenir des expériences spirituelles intenses.
VI. LES SIGNES SACRAMENTAUX ET LE REPOS POUR CÉLÉBRER
233. L’univers se déploie en Dieu, qui le remplit tout entier. Il y a
donc une mystique dans une feuille, dans un chemin, dans la rosée, dans
le visage du pauvre. L’idéal n’est pas seulement de passer de
l’extérieur à l’intérieur pour découvrir l’action de Dieu dans l’âme,
mais aussi d’arriver à le trouver en toute chose[159],
comme l’enseignait saint Bonaventure : « La contemplation est d’autant
plus éminente que l’homme sent en lui-même l’effet de la grâce divine et
qu’il sait trouver Dieu dans les créatures extérieures ».[160]
234. Saint Jean de la Croix enseignait que ce qu’il y a de bon dans
les choses et dans les expériences du monde « se rencontre[nt] en Dieu
éminemment et à l’infini, ou pour mieux dire, chacune de ces excellences
est Dieu même, comme toutes ces excellences réunies sont Dieu même »[161].
Non parce que les choses limitées du monde seraient réellement divines,
mais parce que le mystique fait l’expérience de la connexion intime qui
existe entre Dieu et tous les êtres, et ainsi « il sent que Dieu est
toutes les choses »[162].
S’il admire la grandeur d’une montagne, il ne peut pas la séparer de
Dieu, et il perçoit que cette admiration intérieure qu’il vit doit
reposer dans le Seigneur : « Les montagnes sont élevées ; elles sont
fertiles, spacieuses, belles, gracieuses, fleuries et embaumées. Mon
Bien-Aimé est pour moi ces montagnes. Les vallons solitaires sont
paisibles, agréables, frais et ombragés. L’eau pure y coule en
abondance. Ils charment et recréent les sens par leur végétation variée
et par les chants mélodieux des oiseaux qui les habitent. Ils procurent
la fraîcheur et le repos par la solitude et le silence qui y règnent.
Mon Bien-Aimé est pour moi ces valons ».[163]
235. Les Sacrements sont un mode privilégié de la manière dont la
nature est assumée par Dieu et devient médiation de la vie surnaturelle.
À travers le culte, nous sommes invités à embrasser le monde à un
niveau différent. L’eau, l’huile, le feu et les couleurs sont assumés
avec toute leur force symbolique et s’incorporent à la louange. La main
qui bénit est instrument de l’amour de Dieu et reflet de la proximité de
Jésus-Christ qui est venu nous accompagner sur le chemin de la vie.
L’eau qui se répand sur le corps de l’enfant baptisé est signe de vie
nouvelle. Nous ne nous évadons pas du monde, et nous ne nions pas la
nature quand nous voulons rencontrer Dieu. Cela peut se percevoir
particulièrement dans la spiritualité chrétienne orientale : « La
beauté, qui est l’un des termes privilégiés en Orient pour exprimer la
divine harmonie et le modèle de l’humanité transfigurée, se révèle
partout : dans les formes du sanctuaire, dans les sons, dans les
couleurs, dans les lumières, dans les parfums».[164]
Selon l’expérience chrétienne, toutes les créatures de l’univers
matériel trouvent leur vrai sens dans le Verbe incarné, parce que le
Fils de Dieu a intégré dans sa personne une partie de l’univers
matériel, où il a introduit un germe de transformation définitive : « Le
christianisme ne refuse pas la matière, la corporéité, qui est au
contraire pleinement valorisée dans l’acte liturgique, dans lequel le
corps humain montre sa nature intime de temple de l’Esprit et parvient à
s’unir au Seigneur Jésus, lui aussi fait corps pour le salut du monde
».[165]
236. Dans l’Eucharistie, la création trouve sa plus grande élévation.
La grâce, qui tend à se manifester d’une manière sensible, atteint une
expression extraordinaire quand Dieu fait homme, se fait nourriture pour
sa créature. Le Seigneur, au sommet du mystère de l’Incarnation, a
voulu rejoindre notre intimité à travers un fragment de matière. Non
d’en haut, mais de l’intérieur, pour que nous puissions le rencontrer
dans notre propre monde. Dans l’Eucharistie la plénitude est déjà
réalisée ; c’est le centre vital de l’univers, le foyer débordant
d’amour et de vie inépuisables. Uni au Fils incarné, présent dans
l’Eucharistie, tout le cosmos rend grâce à Dieu. En effet, l’Eucharistie
est en soi un acte d’amour cosmique : « Oui, cosmique! Car, même
lorsqu’elle est célébrée sur un petit autel d’une église de campagne,
l’Eucharistie est toujours célébrée, en un sens, sur l’autel du monde ».[166]
L’Eucharistie unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre toute
la création. Le monde qui est issu des mains de Dieu, retourne à lui
dans une joyeuse et pleine adoration : dans le Pain eucharistique, « la
création est tendue vers la divinisation, vers les saintes noces, vers
l’unification avec le Créateur lui-même ».[167]
C’est pourquoi, l’Eucharistie est aussi source de lumière et de
motivation pour nos préoccupations concernant l’environnement, et elle
nous invite à être gardiens de toute la création.
237. Le dimanche, la participation à l’Eucharistie a une importance
spéciale. Ce jour, comme le sabbat juif, est offert comme le jour de la
purification des relations de l’être humain avec Dieu, avec lui-même,
avec les autres et avec le monde. Le dimanche est le jour de la
résurrection, le “premier jour” de la nouvelle création, dont les
prémices sont l’humanité ressuscitée du Seigneur, gage de la
transfiguration finale de toute la réalité créée. En outre, ce jour
annonce « le repos éternel de l’homme en Dieu »[168].
De cette façon, la spiritualité chrétienne intègre la valeur du loisir
et de la fête. L’être humain tend à réduire le repos contemplatif au
domaine de l’improductif ou de l’inutile, en oubliant qu’ainsi il retire
à l’œuvre qu’il réalise le plus important : son sens. Nous sommes
appelés à inclure dans notre agir une dimension réceptive et gratuite,
qui est différente d’une simple inactivité. Il s’agit d’une autre
manière d’agir qui fait partie de notre essence. Ainsi, l’action humaine
est préservée non seulement de l’activisme vide, mais aussi de la
passion vorace et de l’isolement de la conscience qui amène à poursuivre
uniquement le bénéfice personnel. La loi du repos hebdomadaire imposait
de chômer le septième jour « afin que se reposent ton bœuf et ton âne
et que reprennent souffle le fils de ta servante ainsi que l’étranger » (Ex 23,
12). En effet, le repos est un élargissement du regard qui permet de
reconnaître à nouveau les droits des autres. Ainsi, le jour du repos,
dont l’Eucharistie est le centre, répand sa lumière sur la semaine tout
entière et il nous pousse à intérioriser la protection de la nature et
des pauvres.
VII. LA TRINITÉ ET LA RELATION ENTRE LES CRÉATURES
238. Le Père est l’ultime source de tout, fondement aimant et
communicatif de tout ce qui existe. Le Fils, qui le reflète, et par qui
tout a été créé, s’est uni à cette terre quand il a été formé dans le
sein de Marie. L’Esprit, lien infini d’amour, est intimement présent au
cœur de l’univers en l’animant et en suscitant de nouveaux chemins. Le
monde a été créé par les trois Personnes comme un unique principe divin,
mais chacune d’elles réalise cette œuvre commune selon ses propriétés
personnelles. C’est pourquoi « lorsque [...] nous contemplons avec
admiration l’univers dans sa grandeur et sa beauté, nous devons louer la
Trinité tout entière ».[169]
239. Pour les chrétiens, croire en un Dieu qui est un et communion
trinitaire, incite à penser que toute la réalité contient en son sein
une marque proprement trinitaire. Saint Bonaventure en est arrivé à
affirmer que, avant le péché, l’être humain pouvait découvrir comment
chaque créature « atteste que Dieu est trine ». Le reflet de la Trinité
pouvait se reconnaître dans la nature « quand ce livre n’était pas
obscur pour l’homme et que le regard de l’homme n’avait pas été troublé
».[170] Le saint franciscain nous enseigne que toute créature porte en soi une structure proprement trinitaire,
si réelle qu’elle pourrait être spontanément contemplée si le regard de
l’être humain n’était pas limité, obscur et fragile. Il nous indique
ainsi le défi d’essayer de lire la réalité avec une clé trinitaire.
240. Les Personnes divines sont des relations subsistantes, et le
monde, créé selon le modèle divin, est un tissu de relations. Les
créatures tendent vers Dieu, et c’est le propre de tout être vivant de
tendre à son tour vers autre chose, de telle manière qu’au sein de
l’univers nous pouvons trouver d’innombrables relations constantes qui
s’entrelacent secrètement[171].
Cela nous invite non seulement à admirer les connexions multiples qui
existent entre les créatures, mais encore à découvrir une clé de notre
propre épanouissement. En effet, plus la personne humaine grandit, plus
elle mûrit et plus elle se sanctifie à mesure qu’elle entre en relation,
quand elle sort d’elle-même pour vivre en communion avec Dieu, avec les
autres et avec toutes les créatures. Elle assume ainsi dans sa propre
existence ce dynamisme trinitaire que Dieu a imprimé en elle depuis sa
création. Tout est lié, et cela nous invite à mûrir une spiritualité de
la solidarité globale qui jaillit du mystère de la Trinité.
VIII. LA REINE DE TOUTE LA CRÉATION
241. Marie, la Mère qui a pris soin de Jésus, prend soin désormais de
ce monde blessé, avec affection et douleur maternelles. Comme, le cœur
transpercé, elle a pleuré la mort de Jésus, maintenant elle compatit à
la souffrance des pauvres crucifiés et des créatures de ce monde
saccagées par le pouvoir humain. Totalement transfigurée, elle vit avec
Jésus, et toutes les créatures chantent sa beauté. Elle est la Femme «
enveloppée de soleil, la lune est sous ses pieds, et douze étoiles
couronnent sa tête » (Ap 12, 1). Élevée au ciel, elle est Mère
et Reine de toute la création. Dans son corps glorifié, avec le Christ
ressuscité, une partie de la création a atteint toute la plénitude de sa
propre beauté. Non seulement elle garde dans son cœur toute la vie de
Jésus qu’elle conservait fidèlement (cf. Lc 2, 51.51), mais elle
comprend aussi maintenant le sens de toutes choses. C’est pourquoi, nous
pouvons lui demander de nous aider à regarder ce monde avec des yeux
plus avisés.
242. A côté d’elle, dans la Sainte Famille de Nazareth, se détache la
figure de saint Joseph. Il a pris soin de Marie et de Jésus ; il les a
défendus par son travail et par sa généreuse présence, et il les a
libérés de la violence des injustes en les conduisant en Égypte. Dans
l’Évangile, il apparaît comme un homme juste, travailleur, fort. Mais de
sa figure, émane aussi une grande tendresse, qui n’est pas le propre
des faibles, mais le propre de ceux qui sont vraiment forts, attentifs à
la réalité pour aimer et pour servir humblement. Voilà pourquoi il a
été déclaré protecteur de l’Église universelle. Il peut aussi nous
enseigner à protéger, il peut nous motiver à travailler avec générosité
et tendresse pour prendre soin de ce monde que Dieu nous a confié.
IX. AU-DELÀ DU SOLEIL
243. A la fin, nous nous trouverons face à face avec la beauté infinie de Dieu (cf. 1 Co 13,
12) et nous pourrons lire, avec une heureuse admiration, le mystère de
l’univers qui participera avec nous à la plénitude sans fin. Oui, nous
voyageons vers le sabbat de l’éternité, vers la nouvelle Jérusalem, vers
la maison commune du ciel. Jésus nous dit : « Voici, je fais l’univers
nouveau » (Ap 21, 5). La vie éternelle sera un émerveillement
partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse,
occupera sa place et aura quelque chose à apporter aux pauvres
définitivement libérés.
244. Entre-temps, nous nous unissons pour prendre en charge cette
maison qui nous a été confiée, en sachant que tout ce qui est bon en
elle sera assumé dans la fête céleste. Ensemble, avec toutes les
créatures, nous marchons sur cette terre en cherchant Dieu, parce que «
si le monde a un principe et a été créé, il cherche celui qui l’a créé,
il cherche celui qui lui a donné un commencement, celui qui est son
Créateur ».[172] Marchons en chantant ! Que nos luttes et notre préoccupation pour cette planète ne nous enlèvent pas la joie de l’espérance.
245. Dieu qui nous appelle à un engagement généreux, et à tout
donner, nous offre les forces ainsi que la lumière dont nous avons
besoin pour aller de l’avant. Au cœur de ce monde, le Seigneur de la vie
qui nous aime tant, continue d’être présent. Il ne nous abandonne pas,
il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il s’est définitivement uni à
notre terre, et son amour nous porte toujours à trouver de nouveaux
chemins. Loué soit-il.
* * *
246. Après cette longue réflexion, à la fois joyeuse et dramatique,
je propose deux prières : l’une que nous pourrons partager, nous tous
qui croyons en un Dieu Créateur Tout-Puissant ; et l’autre pour que
nous, chrétiens, nous sachions assumer les engagements que nous propose
l’Évangile de Jésus, en faveur de la création.
Prière pour notre terre
Dieu Tout-Puissant qui es présent dans tout l’univers et dans la plus petite de tes créatures, Toi qui entoures de ta tendresse tout ce qui existe, répands sur nous la force de ton amour pour que nous protégions la vie et la beauté. Inonde-nous de paix, pour que nous vivions comme frères et sœurs sans causer de dommages à personne. Ô Dieu des pauvres, aide-nous à secourir les abandonnés et les oubliés de cette terre qui valent tant à tes yeux. Guéris nos vies, pour que nous soyons des protecteurs du monde et non des prédateurs, pour que nous semions la beauté et non la pollution ni la destruction. Touche les cœurs de ceux qui cherchent seulement des profits aux dépens de la terre et des pauvres. Apprends-nous à découvrir la valeur de chaque chose, à contempler, émerveillés, à reconnaître que nous sommes profondément unis à toutes les créatures sur notre chemin vers ta lumière infinie. Merci parce que tu es avec nous tous les jours. Soutiens-nous, nous t’en prions, dans notre lutte pour la justice, l’amour et la paix.
Prière chrétienne avec la création
Nous te louons, Père, avec toutes tes créatures, qui sont sorties de ta main puissante. Elles sont tiennes, et sont remplies de ta présence comme de ta tendresse. Loué sois-tu.
Fils de Dieu, Jésus, toutes choses ont été créées par toi. Tu t’es formé dans le sein maternel de Marie, tu as fait partie de cette terre, et tu as regardé ce monde avec des yeux humains. Aujourd’hui tu es vivant en chaque créature avec ta gloire de ressuscité. Loué sois-tu.
Esprit-Saint, qui par ta lumière orientes ce monde vers l’amour du Père et accompagnes le gémissement de la création, tu vis aussi dans nos cœurs pour nous inciter au bien. Loué sois-tu.
Ô Dieu, Un et Trine, communauté sublime d’amour infini, apprends-nous à te contempler dans la beauté de l’univers, où tout nous parle de toi. Éveille notre louange et notre gratitude pour chaque être que tu as créé. Donne-nous la grâce de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe. Dieu d’amour, montre-nous notre place dans ce monde comme instruments de ton affection pour tous les êtres de cette terre, parce qu’aucun n’est oublié de toi. Illumine les détenteurs du pouvoir et de l’argent pour qu’ils se gardent du péché de l’indifférence, aiment le bien commun, promeuvent les faibles, et prennent soin de ce monde que nous habitons. Les pauvres et la terre implorent : Seigneur, saisis-nous par ta puissance et ta lumière pour protéger toute vie, pour préparer un avenir meilleur, pour que vienne ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté. Loué sois-tu. Amen.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 24 mai 2015, solennité de Pentecôte, en la troisième année de mon Pontificat.
Franciscus
[1] François d’Assise, Cantique des créatures. SC 285, p. 343-345.
[2] Lett. apost. Octogesima adveniens (14 mai 1971), n. 21 : AAS 63 (1971), 416-417.
[3] Discours à l’occasion du 25ème anniversaire de la FAO (16 novembre 1970), n. 4 : AAS 62 (1970), 833.
[4] Lett. enc. Redemptor hominis (4 mars 1979), n. 15 : AAS 71 (1979), 287.
[5] Cf. Catéchèse (17 janvier 2001), n. 4 : Insegnamenti 24/1 (2001), 179 ; L´Osservatore Romano, éd. française (par la suite ORf) (23 janvier 2001), n. 4, p. 12.
[6] Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 38 : AAS 83 (1991), 841.
[7] Ibid., n. 58 : p. 863.
[8] Jean-Paul II, Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 34 : AAS 80 (1988), 559.
[9] Cf. Id., Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 37 : AAS 83 (1991), 840.
[10] Discours au Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège, (8 janvier 2007) : AAS 99 (2007), n. 73.
[11] Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 51 : AAS 101 (2009), 687.
[12] Discours au Deutscher Bundestag, Berlin (22 septembre 2011) : AAS 103 (2011), 664.
[13] Discours au clergé du Diocèse de Bolzano-Bressanone (6 août 2008) : AAS 100 (2008), 634.
[14] Message pour la Journée de prière pour la sauvegarde de la création (1er septembre 2012).
[15] Discours à Santa Barbara, California (8 novembre 1997) ; cf. John Chryssavgis, On Earth as in Heaven: Ecological Vision and Iniciatives of Ecumenical Patriarch Bartholomew, Bronx, New York
2012.
[16] Ibid.
[17] Conférence au Monastère d’Utstein, Norvège (23 juin 2003).
[18] Discours au I er Sommet de Halki : «Global Responsibility and Ecological Sustainability: Closing Remarks», Istanbul (20 juin 2012).
[19] Thomas de Celano, Vita prima de saint François, XXIX, 81 : FF 460.
[20] Legenda Maior, VIII, 6 : FF 1145.
[21] Cf. Thomas de Celano, Vita Secunda de saint François, CXXIV, 165 : FF 750.
[22] Conférence des évêques catholiques d'Afrique du Sud, Pastoral Statement on the Environmental Crisis (5 septembre 1999).
[23] Cf. Salut au personnel de la FAO (20 novembre 2014) : AAS 106 (2014), 985.
[24] Vème Conférence générale de l'épiscopat latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida (29 juin 2007), n. 86.
[25] Conférence des évêques catholiques des Philippines, Lettre pastorale What is Happening to our Beautiful Land? (29 janvier 1988).
[26] Conférence épiscopale bolivienne, Lettre pastorale sur l’environnement et le développement humain en Bolivie El universo, don de Dios para la vida (2012), 17.
[27] Cf. Conférence épiscopale allemande : Commission pour les affaires sociales, Der Klimawandel: Brennpunkt globaler, intergenerationeller und ökologischer Gerechtigkeit (septembre 2006), 28-30.
[28] Conseil Pontifical «Justice et Paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 483.
[29] Catéchèse (5 juin 2013) : Insegnamenti 1/1 (2013), 280 ; ORf (5 juin 2013), n. 23, p. 3.
[30] Évêques de la région de Patagonie-Comahue (Argentine), Mensaje de Navidad (décembre 2009), 2.
[31] Conférence des évêques catholiques des États-Unis d'Amérique, Global Climate Change: A Plea for Dialogue, Prudence and the Common Good (15 juin 2001).
[32] Vème Conférence générale de l'épiscopat latino-américain et des Caraïbes, Document d’Aparecida (29 juin 2007), 471.
[33] Exhort. apost. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 56 : AAS 105 (2013), 1043.
[34] Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 12 : AAS 82 (1990), 154.
[35] Id., Catéchèse (17 janvier 2001), 3 : Insegnamenti 24/1 (2001) ; ORf (23 janvier 2001) n. 4, p. 12.
[36] Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 15 : AAS 82 (1990), 156.
[37] Catéchisme de l’Église Catholique, n. 357.
[38] Cf. Angelus à Osnabrück (Allemagne) avec des personnes vivant des situations de handicap (16 novembre 1980) : Insegnamenti 3/2 (1980), 1232 ; ORf (18 novembre 1980), n. 47, p. 3.
[39] Benoît XVI, Homélie de la messe inaugurale du ministère pétrinien (24 avril 2005) : AAS 97 (2005), 711.
[40] Cf. Legenda Maior, VIII, 1 : FF 1134.
[41] Catéchisme de l’Église Catholique, n. 2416.
[42] Conférence épiscopale allemande, Zukunft
der Schöpfung – Zukunft der Menschheit. Erklärung der Deutschen
Bischofskonferen.Z .Zu Fragen der Umwelt und der Energieversorgung (1980), II, 2.
[43] Catéchisme de l’Église Catholique, n. 339.
[44] Hom. in Hexaemeron, 1, 2, 10 : PG 29, 9.
[45] La Divine Comédie. Paradis, Chant XXXIII, 145.
[46] Benoît XVI, Catéchèse (9 novembre 2005) : Insegnamenti 1 (2005) , 768.
[47] Id., Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 51 : AAS 101 (2009), 687.
[48] Jean-Paul II, Catéchèse (24 avril 1991), 6 : Insegnamenti 14/1 (1991), 856.
[49]
Le Catéchisme explique que Dieu a voulu créer un monde en route vers sa
perfection ultime, et que ceci implique la présence de l’imperfection
et du mal physique : cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique, n. 310.
[50] Cf. Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 36.
[51] Thomas d’Aquin, Somme théologique I, q. 104, art. 1, ad 4.
[52] Id., In octo libros Physicorum Aristotelis expositio, lib II, lectio 14.
[53] L’apport de P. Teilhard de Chardin se situe dans cette perspective ; cf. Paul VI, Discours dans un établissement de chimie pharmaceutique (24 février 1966) : Insegnamenti 4 (1966), 992-993 ; Jean-Paul II, Lettre au Révérend P. George V. Coyne (1er juin 1988) : Insegnamenti 11/2 (1988), 1715 ; Benoît XVI, Homélie pour la célébration des Vêpres à Aoste (24 juillet 2009) : Insegnamenti 5/2 (2009), 60.
[54] Jean-Paul II, Catéchèse (30 janvier 2002), n. 6 : Insegnamenti 25/1 (2002), 140.
[55] Conférence des évêques catholiques du Canada : Commission des affaires sociales, Lettre pastorale sur l’Impératif écologique chrétien (4 octobre 2003), 1.
[56] Conférence des évêques du Japon, Reverence for Life. A Message for the Twenty-First Century (janvier 2001), n. 89.
[57] Jean-Paul II, Catéchèse (26 janvier 2000), n. 5 : Insegnamenti 23/1 (2000), 123.
[58] Id., Catéchèse (2 août 2000), n. 3 : Insegnamenti 23/2 (2000), 112.
[59] Paul Ricœur, Philosophie de la volonté : Finitude et culpabilité, Paris 2009, p. 216.
[60] Somme Théologique I, q. 47, art. 1.
[61] Ibid.
[62] Cf. Ibid., art. 2, ad. 1 ; art 3.
[63] Catéchisme de l’Église Catholique, n. 340.
[64] Cantique des créatures, SC 285, p. 343.
[65] Cf. Conférence nationale des évêques du Brésil, A Igreja e a questáo ecológica, 1992, 53-54.
[66] Ibid., 61.
[67] Exhort. apost. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 215 : AAS 105 (2013), 1109.
[68] Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 14 : AAS 101 (2009), 650.
[69] Catéchisme de l’Église Catholique, n. 2418.
[70] Conférence de l’Épiscopat de la République Dominicaine, Carta pastoral sobre la relación del hombre con la naturaleza, (21 janvier 1987).
[71] Jean-Paul II, Lett. enc. Laborem exercens (14 septembre 1981), n. 19 : AAS 73 (1981), 626.
[72] Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 31 : AAS 83 (1991), 831.
[73] Lett. enc. Sollicitudo rei socialis (30 décembre 1987), n. 33 : AAS 80 (1988), 557.
[74] Discours aux indigènes et paysans du Mexique, Cuilapán (29 janvier 1979), n. 6 : AAS 71 (1979), 209.
[75] Homélie de la messe pour les agriculteurs à Recife, Brésil (7 juillet 1980), n. 4 : AAS 72 (1980), 926.
[76] Cf. Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 8 : AAS 82 (1990), 152.
[77] Conférence épiscopale paraguayenne, Lettre pastorale El campesino paraguayo y la tierra (12 juin 1983), n. 2, 4, d.
[78] Conférence épiscopale de Nouvelle Zélande, Statement on Environmental Issues, Wellington (1er septembre 2006).
[79] Lett. enc. Laborem exercens (14 sep. 1981), n. 27 : AAS 73 (1981), 645.
[80] Pour cette raison saint Justin a pu parlé de « semences du Verbe » dans le monde : cf. II Apologia 8, 1-2 ; 13, 3-6 : PG 6, 457-458 ; 467.
[81] Jean-Paul II, Discours aux représentants des hommes de la science, de la culture et des hautes études à l’Université des Nations-Unies, Hiroshima (25 février 1981), n. 3 : AAS 73 (1981), 422.
[82] Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 69 : AAS 101 (2009), 702.
[83] Romano Guardini, Das Ende der Neuzeit, Würzburg 91965, p. 87 (édition française : La fin des temps modernes, Paris 1952, p. 92, par la suite éd. fr.).
[84] Ibid., (éd. fr. : p. 92).
[85] Ibid., p. 87-88 (éd. fr. : p. 93).
[86] Conseil Pontifical « Justice et Paix », Compendium de la Doctrine sociale de l’Église, n. 462.
[87] Romano Guardini, Das Ende der Neuzeit, p. 63-64 (éd. fr. : La fin des temps modernes, p. 68).
[88] Ibid., (éd. fr. : p. 68).
[89] Cf. Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 35 : AAS 101 (2009), 671.
[90] Ibid., n. 22 : p. 657.
[91] Exhort. apost. Evangelii gauúum (24 novembre 2013), n. 231 : AAS 105 (2013), 1114.
[92] Romano Guardini, Das Ende der Neuzeit, p. 63 (éd. fr. : La fin des temps modernes, p. 68).
[93] Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 38 : AAS 83 (1991), 841.
[94] Cf. Déclaration Love for creation. An Asian Response to the Ecological Crisis, Colloque organisé par la Fédération des Conférences Épiscopales d’Asie, Tagaytay (31 janvier – 5 février 1993), 3.3.2.
[95] Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 37 : AAS 83 (1991), 840.
[96] Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2010, n. 2 : AAS 102 (2010), 41.
[97] Id., Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 28 : AAS 101 (2009), 663.
[98] Cf. Vincent de Lerins, Commonitorium primumm, chap. 23 : PL 50, 668 : « Ut annis scilicet consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate ».
[99] N. 80 : AAS 105 (2013), 1053.
[100] Conc. Œcuménique Vat. II, Const. past. Gaudium et spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 63.
[101] Cf. Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 37 : AAS 83 (1991), 840.
[102] Paul VI, Lett. enc. Populorum progressio (26 mars 1967), n. 34 : AAS 59 (1967), 274.
[103] Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 32 : AAS 101 (2009), 666.
[104] Ibid.
[105] Ibid.
[106] Catéchisme de l’Église Catholique, n. 2417.
[107] Ibid., n. 2418.
[108] Ibid., n. 2415.
[109] Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 6 : AAS 82 (1990), 150.
[110] Discours à l’Académie Pontificale des Sciences (3 octobre 1981), n. 3 : Insegnamenti 4/2 (1981), 333.
[111] Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 7 : AAS 82 (1990), 151.
[112] Jean-Paul II, Discours à la 35ème Assemblée Générale de l’Association Médicale Mondiale (29 octobre 1983), n. 6 : AAS 76 (1984), 394.
[113] Conférence épiscopale d’Argentine : Commission de Pastorale sociale, Una tierra para todos (juin 2005), 19.
[114] Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (14 juin 1992), Principe 4.
[115] Exhort. apost. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 237 : AAS 105 (2013), 1116.
[116] Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 51 : AAS 101 (2009), 687.
[117]
Certains auteurs ont montré les valeurs qui souvent se vivent, par
exemple dans les “villas”, bidonvilles ou favelas de l’Amérique Latine :
cf. Juan Carlos Scannone, La irrupción del pobre y la logica de la gratuidad, dans : Juan Carlos Scannone y Marcelo Perine (edd.), Irrupción del pobre y quehacer filosófico. Hacia una nueva racionalidad, Buenos Aires 1993, p. 225-230.
[118] Conseil Pontifical « Justice et Paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, n. 482.
[119] Exhort. apost. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 210 : AAS 105 (2013), 1107.
[120] Discours au Deutscher Bundestag, Berlin (22 septembre 2011) : AAS 103 (2011), 668.
[121] Catéchèse (15 avril 2015) : ORf (16 avril 2015), n. 16, p. 2.
[122] Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et Spes, sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 26.
[123] Cf. n. 186-201 : AAS 105 (2013), 1098-1105.
[124] Conférence épiscopale portugaise, Lettre pastorale Responsabilidade solidária pelo bem comum (15 septembre 2003), 20.
[125] Benoît XVI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2010, n. 8 : AAS 102 (2010), 45.
[126] Déclaration de Rio sur l’environnement et le développement (14 juin 1992), Principe 1.
[127] Conférence des évêques de Bolivie, Lettre pastorale sur l’environnement et le développement humain en Bolivie El universo, don de Dios para la vida (2012), 86.
[128] Conseil Pontifical « Justice et Paix », Energia, justicia y paz, n. IV, 1, Cité du Vatican (2013), p. 57.
[129] Benoît XVI, Lett. Enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 67 : AAS 101 (2009), 700.
[130] Exhort. apost. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 222 : AAS 105 (2013), 1111.
[131] Conseil pontifical « Justice et Paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, n. 469.
[132] Déclaration de Rio sur l’environnement et le âveloppement (14 juin 1992), Principe 15.
[133] Cf. Conférence de l'Épiscopat mexicain : Coommission de la Pastorale sociale, Jesucristo, vida y esperanza de los indígenas y campesinos (14 janvier 2008).
[134] CConseil pontifical « Justice et Paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, n. 470.
[135] Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2010, n. 9 : AAS 102 (2010), 46.
[136] Ibid.
[137] Ibid., n. 5 : p. 43.
[138] Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 50 : AAS 101 (2009), 686.
[139] Exhort. apost. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 209 : AAS 105 (2013), 1107.
[140] Ibid., n. 228 : p. 1113.
[141] Cf. Lett. enc. Lumen fidei (29 juin 2013), n. 34 : AAS 105
(2013), 577 : « La lumière de la foi, dans la mesure où elle est unie à
la vérité de l’amour, n’est pas étrangère au monde matériel, car
l’amour se vit toujours corps et âme ; la lumière de la foi est une
lumière incarnée, qui procède de la vie lumineuse de Jésus. Elle éclaire
aussi la matière, se fie à son ordre, reconnaît qu’en elle s’ouvre un
chemin d’harmonie et de compréhension toujours plus large. Le regard de
la science tire ainsi profit de la foi : cela invite le chercheur à
rester ouvert à la réalité, dans toute sa richesse inépuisable. La foi
réveille le sens critique dans la mesure où elle empêche la recherche de
se complaire dans ses formules et l’aide à comprendre que la nature est
toujours plus grande. En invitant à l’émerveillement devant le mystère
du créé, la foi élargit les horizons de la raison pour mieux éclairer le
monde qui s’ouvre à la recherche scientifique ».
[142] Exhort. apost. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 256 : AAS 105 (2013), 1123.
[143] Ibid., n. 231: p. 1114.
[144] Romano Guardini, Das Ende der Neuzeit, Würzburg 91965, p. 66-67 (éd. fr. : La fin des temps modernes, Paris 1952, p. 71-72).
[145] Jean-Paul II, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 1 : AAS 82 (1990), 147.
[146] Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 66 : AAS 101 (2009), 699.
[147] Id., Message pour la Journée Mondiale de la Paix 2010, n. 11 : AAS 102 (2010), 48.
[148] La Charte de la Terre, La Haye (29 juin 2000).
[149] Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus annus (1er mai 1991), n. 39 : AAS 83 (1991), 842.
[150] Id., Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1990, n. 14 : AAS 82 (1990), 155.
[151] Exhort. apost. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 261 : AAS 105 (2013), 1124.
[152] Benoît XVI, Homélie pour l’inauguration solennelle du ministère pétrinien (24 avril 2005) : AAS 97 (2005), 710.
[153] Conférence des évêques catholiques d’Australie, A New Earth – The Environmental Challenge, Canberra (2002).
[154] Romano Guardini, Das Ende der Neuzeit, p. 72 (éd. fr. : p. 77).
[155] Exhort. apost. Evangelii gaudium (24 novembre 2013), n. 71 : AAS 105 (2013), 1050.
[156] Benoît XVI, Lett. enc. Caritas in veritate (29 juin 2009), n. 2 : AAS 101 (2009), 642.
[157] Paul VI, Message pour la Journée Mondiale de la Paix 1977 : AAS 68 (1976), 709.
[158] Conseil Pontifical « JustiCe et Paix », Compendium de la Doctrine Sociale de l’Eglise, n. 582.
[159]
Un maître spirituel, Alî al-Khawwâç, à partir de sa propre expérience,
soulignait aussi la nécessité de ne pas trop séparer les créatures du
monde de l’expérience intérieure de Dieu. Il affirmait : « Il ne faut
donc pas blâmer de parti pris les gens de chercher l’extase dans la
musique et la poésie. Il y a un “secret” subtil dans chacun des
mouvements et des sons de ce monde. Les initiés arrivent à saisir ce que
disent le vent qui souffle, les arbres qui se penchent, l’eau qui
coule, les mouches qui bourdonnent, les portes qui grincent, le chant
des oiseaux, le pincement des cordes, les sifflement de la flûte, le
soupir des malades, le gémissement de l’affligé.... », Eva De
Vitray-Meyerovitch [éd.], Anthologie du soufisme, Paris 1978, p. 200.
[160] In II Sent., 23, 2, 3.
[161] Cantique spirituel, XIV-XV, 5 (Œuvres complètes, Paris 1990, p. 409-410).
[162] Ibid.
[163] Ibid., XIV, 6-7 (p. 410).
[164] Jean-Paul II, Lett. apost. Orientale lumen (2 mai 1995), n. 11 : AAS 87 (1995), 757.
[165] Ibid.
[166] Lett. enc. Ecclesia de Eucharistia (17 avril 2003), n. 8 : AAS 95 (2003), 438.
[167] Benoît XVI, Homélie à l’occasion de la Messe du Corpus Domini (15 juin 2006) : AAS 98 (2006), 513.
[168] Cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2175.
[169] Jean-Paul II, Catéchèse (2 août 2000), n. 4 : Insegnamenti 23/2 (2000), 112.
[170] Quaest. disp. de Myst. Trinitatis, 1, 2, concl.
[171] Cf. Thomas D’Aquin, Summa Theologiae I, q. 11, art. 3 ; q. 21, art. 1, ad 3 ; q. 47, art. 3.
[172] Basilio Magno, Hom. in Hexaemeron, 1, 2, 6: PG 29, 8.
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